![Photo: Alain Jocard/AFP/Getty Images](http://www.lactualite.com/wp-content/uploads/2014/01/Marois_Hollande-800x450.jpg)
Photo: Alain Jocard/AFP/Getty Images
(Après l’introduction publiée le 19 décembre dernier, voici le premier d’une série de billets portant sur l’affaiblissement de la souveraineté des États. Ces billets s’intéressent à quelques-unes des transformations engendrées par la mondialisation économique, politique, culturelle et identitaire en cours, et les limites qu’elles imposent au pouvoir de contrôle des États. La série ne cherche pas à savoir si le monde contemporain est mieux ou pire que l’époque qui l’a précédé, mais plutôt à identifier et illustrer les paramètres incontournables qui s’imposent désormais à l’action sociale et politique.)
* * *
Vos clémentines viennent du Maroc, votre huile d’olive d’Italie, votre vin du Chili ou de Nouvelle-Zélande. Vos sous-vêtements ont été fabriqués au Sri Lanka. Votre iPhone en Chine, comme des dizaines d’autres objets qui encombrent votre chambre, votre cuisine ou votre bureau. Via vos REER et/ou la Caisse de dépôt, vous êtes investisseur aux États-Unis, en Europe et en Asie. Si vous travaillez pour une entreprise qui exporte ses produits ou ses services, votre emploi dépend en partie de la conjoncture économique internationale. Si vous êtes Québécois ou résident d’une autre province canadienne, plusieurs décisions de votre gouvernement dépendent de la péréquation reçue d’Ottawa et du jugement des agences de notation de New York.
Rien de tout ceci n’est nouveau. La mondialisation économique et financière est bien installée depuis une vingtaine d’années au moins.
Depuis cinq ou dix ans toutefois — à cause de la crise financière de 2008, des déménagements d’entreprises, des répercussions de la crise de la dette publique en Europe, de l’essor du commerce électronique, de la fluctuation du prix des métaux et du spectre de décote du gouvernement du Québec, entre autres — l’actualité rappelle avec insistance que nous n’opérons pas en vase clos.
Plusieurs acteurs étrangers — privés ou publics — ont maintenant un impact majeur sur l’économie et les finances du Québec, comme sur celles de tous les États. Plus que jamais, nos politiques économiques doivent s’arrimer à cette réalité.
Les exigences sont multiples.
Avant même de mettre en oeuvre les priorités et les promesses de son gouvernement, un ministre des Finances doit considérer l’opinion des agences de notation basées à New York, chargées de donner une cote de crédit au Québec. (Ces agences évaluent de manière indépendante, et en principe impartiale, la solvabilité des entités privées ou publiques qui émettent des obligations, dans le but de donner aux investisseurs une idée du risque qu’elles représentent. Les institutions fortement endettées et aux revenus chancelants constituent des investissements plus risqués que celles qui sont en meilleure santé financière, et les taux d’intérêt exigés varient en conséquence.)
Le ministre des Finances jouit évidemment d’une certaine liberté, mais des choix budgétaires malavisés engendreront une décote qui fera grimper le coût des emprunts futurs et réduira d’autant la marge de manoeuvre du gouvernement.
Un gouvernement pourrait-il, au nom de la primauté du politique et de la démocratie, choisir d’ignorer ces agences étrangères et leur ingérence malvenue dans ses choix? Pourrait-il, en d’autres termes, envoyer paître Wall Street et embrasser sans réserve des politiques contraires aux souhaits des investisseurs?
Bien sûr — mais le prix serait élevé. Le gouvernement devrait alors choisir entre réduire dramatiquement ses dépenses, faire défaut, ou payer beaucoup plus d’intérêts sur sa dette. Toutes ces options sont rebutantes.
À bien des égards, une logique semblable doit désormais animer les grandes décisions d’ordre fiscal ou réglementaire. Dans une économie où les États sont en concurrence pour attirer ou retenir les entreprises, les investissements et les emplois, le choix de s’inscrire à contre-courant de ses voisins n’est pas sans conséquence.
Le cas du régime minier a été abondamment discuté au cours des dernières années. Du défunt Plan Nord de Jean Charest au nouveau régime minier du PQ, la décision du gouvernement du Québec de miser sur le secteur minier dépend en grande partie de la fluctuation du prix du minerai dans le monde — fluctuation qui échappe elle-même largement au contrôle du Québec, et qui a le pouvoir de changer radicalement la donne économique. Une fois prise la décision de miser sur les mines, le gouvernement doit encore attirer les investissements et les entreprises, ce qui implique la mise en place de conditions attrayantes pour l’industrie, à défaut de quoi les entreprises iront ailleurs.
(Pour ne pas avoir à se plier à la concurrence et aux demandes du marché, certains proposent de nationaliser les ressources naturelles, sans toutefois expliquer exactement comment le gouvernement assumerait cette transaction titanesque et les risques qui en découleraient.)
Par ailleurs, même la décision de ne pas miser sur un secteur n’isole pas nécessairement des influences étrangères. Le cas du gaz de schiste est remarquable à cet égard.
Au Québec, l’exploitation du gaz de schiste est actuellement frappée d’un moratoire. Officiellement, donc, les risques économiques et environnementaux ont été évacués au profit d’un prudent statu quo. Les Américains, dont le contexte énergétique est très différent, n’ont pas eu nos scrupules et se sont plutôt vautrés sans retenue dans l’exploitation du gaz de schiste. C’est leur problème, n’est-ce pas?
Pas uniquement. À cause de la hausse vertigineuse de la production de gaz naturel aux États-Unis au cours des dernières années (et la chute correspondante des prix), Hydro-Québec a dû réduire de 60% le prix de l’électricité à l’exportation entre 2007 à 2012. On n’y peut pas grand’chose. La tendance s’annonce durable. La société d’État accumule maintenant les surplus, et les coûts sont loin d’être négligeables. Il faudra s’adapter, plus tôt que tard.
Les exemples ne sont pas limités aux ressources naturelles. Quand des États américains choisissent d’assouplir leurs lois syndicales, les impacts et la concurrence se font sentir jusqu’ici. Les centres de recherche d’envergure mondiale attirent des talents de partout. Les entreprises mobiles s’adaptent, et à défaut de construire des murs pour empêcher qui que ce soit de partir, le Québec devra s’adapter lui aussi.
La même logique s’applique en matière de lois fiscales, de droits de propriété intellectuelle, ou encore de traités de commerce international fondés sur un principe de réciprocité. Combien de fois le Québec pourra-t-il bloquer la concurrence des entreprises étrangères avant que les multinationales québécoises ne soient elles-mêmes écartées des appels d’offres internationaux, avec les conséquences qu’on devine?
Si beaucoup de Québécois ont fondamentalement intégré cette nouvelle réalité et les paramètres qu’elle impose, les isolationnistes demeurent, particulièrement au sein d’une arrière-garde obsédée d’histoire et de ressentiment, pour qui le Québec devrait éternellement «résister» à la mouvance planétaire.
Comme l’écrivaient Pierre-Marc Johnson et Frédéric Mérand récemment, à propos de Montréal:
«Si les Québécois sont fiers du succès de nos nombreux festivals, du Cirque du Soleil, de Bombardier ou de CGI, ils semblent parfois craindre le corollaire de ce rayonnement à l’étranger: la concurrence internationale, l’usage pragmatique de l’anglais et l’accroissement des flux migratoires. Ces dynamiques se concentrent à Montréal, dont l’avenir dépend moins des politiques décidées à Québec que du dynamisme des multinationales qui y sont installées, de l’attractivité de ses universités et de l’initiative de ses immigrants. (…)
Pour se hisser dans le classement des villes globales, il est fondamental d’investir dans les infrastructures (…); soutenir l’excellence en valorisant la recherche universitaire et les entreprises innovantes; et attirer les investissements étrangers par une administration plus transparente et ouverte qui ne craint pas la logique du marché.
Mais peut-être faut-il surtout commencer à accepter que Montréal n’est pas une île, que le Québec n’est pas son unique horizon, et que nous connaissons, apprécions et nous inspirons encore trop peu ce qui se passe au-delà de nos frontières.»
On répondra assurément que, nonobstant les reproches de MM. Johnson et Mérand, le Québec regarde bel et bien au-delà de ses frontières, et particulièrement vers la mère patrie française. Mais cette référence n’est peut-être pas la plus heureuse, comme le rappelle un article paru cette semaine dans Newsweek.
L’auteur cite un éditeur français qui explique que «l’économie mondiale est devenue si importante que l’État-nation ne peut plus jouer le rôle qu’il jouait il y a 10 ans, mais les Français ne se sont pas réveillés à cette nouvelle réalité». La journaliste conclut que «c’est une vision philosophique en tunnel qui tuera la France.»
Certains de nos faiseurs d’opinion locaux auraient intérêt à prendre des notes.
Cet article Le Québec n’est pas une île est apparu en premier sur L'actualité.