![Philippe Couillard](http://www.lactualite.com/wp-content/uploads/2013/09/05034501-800x610.jpg)
Photo: Jacques Boissinot/Presse canadienne
Avant d’entrer dans le vif du sujet, chers lecteurs, permettez que je me présente brièvement.
Membre de la génération x, père de trois enfants et résident de la magnifique ville de Québec, j’ai passé une grande partie de ma vie professionnelle en politique, du côté des souverainistes.
J’ai débuté au Bloc québécois en 1998, comme recherchiste. Je fus ensuite directeur du service de recherche au cabinet de Gilles Duceppe, puis conseiller (assez) spécial. À ce titre, j’ai écris des centaines de notes de discours, des plateformes électorales, des notes d’analyses stratégiques, des lettres ouvertes, etc. J’ai aussi participé à l’élaboration de stratégies électorales et suis devenu par la force des choses un spécialiste de la préparation de débats télévisés (15 en tout aux niveaux fédéral, québécois et municipal)
En 2009, j’ai créé une micro-entreprise pour offrir des services de rédaction et d’analyse stratégique auprès de diverses organisations. J’en ai profité pour écrire un livre qui, à ma grande surprise, est devenu un modeste bestseller, à l’échelle du Québec et dans le domaine des essais et un Coup de cœur Renaud-Bray! Vous comprendrez ma surprise en sachant que le sujet de ce livre est plutôt aride, puisqu’il tire son origine de l’analyse des Comptes publics du Canada.
En août 2011, j’ai répondu à l’appel de Pauline Marois qui vivait, comme chef du Parti québécois, une crise de leadership très difficile. Je l’ai accompagné comme conseiller jusqu’à la fin de sa première année comme première ministre du Québec, le 2 août dernier. Je dois dire qu’au-delà de toutes les péripéties politiques que j’ai vécues, lorsque dans mes vieux jours je jetterai un regard sur le passé, le fait d’avoir contribué à faire élire la première femme première ministre du Québec sera sans doute l’objet de d’une de mes plus grandes fiertés.
Me voici donc blogueur à L’actualité. J’en suis bien heureux et pour plusieurs raisons. D’abord, je suis un abonné à ce magazine, que je lis depuis des décennies. Ensuite parce que je me joins à une équipe chevronnée de blogueurs politiques et j’en suis honoré. Et finalement parce que j’aurai ainsi l’occasion de défendre un point de vue peu présent dans les médias, celui d’un partisan affiché et sans complexe du Parti québécois.
Comprenez-moi bien. Je ne suis pas toujours d’accord avec ma famille politique. Dans les partis, personne ne peut être toujours d’accord. C’est l’essence même de la démocratie. Parfois, notre point de vue triomphe et parfois, il faut nous ranger aux décisions prises par les membres du parti ou par les élus.
Chez les souverainistes, quand il y a des désaccords, ils se manifestent bruyamment. C’est ainsi que vous entendrez régulièrement parler de division dans ma famille. Dans d’autres partis, comme au Parti libéral du Québec, il y a bien sûr des désaccords, mais vous en entendrez rarement parler. C’est une autre culture politique.
Tout cela pour dire que l’industrie de la critique contre le Parti québécois étant très florissante, du côté fédéraliste aussi bien que du côté souverainiste, elle n’a pas besoin d’un blogueur de plus. J’éviterai donc ce marché encombré.
Vous saurez à quoi vous attendre : je suis un partisan assumé de la souveraineté et du Parti québécois, le seul véhicule démocratique permettant de la réaliser.
Partisan, donc, mais rigoureux aussi. J’essaie de toujours m’appuyer sur des faits, sur une analyse approfondie et sur mon expérience concrète de pratiquant de la politique. Cette exigence m’a été inculquée dès le départ par Gilles Duceppe, dont c’était le mantra : rigueur, rigueur, rigueur.
Laissez-moi vous donner un exemple qui, s’il remonte dans le temps, est redevenu brûlant d’actualité. Il met en scène quatre personnages principaux: Arthur Porter, Riadh Ben Aïssa, Philippe Couillard et Jean-Marc Fournier.
L’histoire débute en 2008, quand Stephen Harper demande (par courtoisie) aux chefs des autres partis à Ottawa d’approuver la nomination d’Arthur Porter au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. C’est en effet l’usage pour un premier ministre avant de nommer quelqu’un à un poste sensible. À chaque occasion, M. Duceppe demandait au service de recherche du Bloc d’effectuer des vérifications. Il ne voulait pas cautionner une nomination qui pourrait par la suite revenir le hanter.
Dans le cas de Porter, malaise. Une rapide vérification montrait en effet qu’il avait entretenu des liens assez étroits avec le président Bush et son sulfureux vice-président, Dick Cheney. Cependant, M. Duceppe se voyait mal refuser de cautionner cette nomination sur une base aussi politique. Il a donc demandé aux recherchistes de fouiller davantage. En quelques minutes de recherche sur Google, ils sont tombés sur cet article publié dans Le Devoir en novembre 2004.
On y faisait état du passé trouble d’Arthur Porter à Détroit : conflit d’intérêts, mauvaise gestion, crise financière, menace de tutelle. C’était amplement suffisant pour refuser de cautionner la nomination de Porter à un poste aussi sensible que celui de président du Comité de surveillance des services secrets, ce que fit M. Duceppe. Rigueur, donc.
Et surprise. Comment le premier ministre du Canada, qui dispose d’un gigantesque appareil de renseignement, pouvait-il nommer cet homme dans un poste aussi sensible? Dans une enquête intervenue beaucoup plus tard, le National Post allait poser la même question, mettre le gouvernement Harper dans l’embarras et provoquer la démission du Dr. Porter.
C’est suite à sa nomination en 2004 comme directeur général du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) que l’article du Devoir avait été publié.* Malgré ses prétentions («À l’époque, on ne savait rien de tout ça sur Porter»), M. Couillard ne pouvait pourtant pas ignorer le passé trouble du personnage, puisque Le Devoir avait publié cet article en une.
Mais l’ancien ministre et actuel chef du Parti libéral décide d’ignorer cela et plutôt que d’avertir le C.A. du CUSM du risque que présente ce personnage, Philippe Couillard nomme Porter président du Réseau universitaire intégré de santé (RUIS). Cette série d’erreurs aura des conséquences désastreuses, puisque le docteur Porter sera au centre d’une énorme affaire de corruption dans l’octroi du contrat de 1,3 milliards du nouveau CUSM. Première grave erreur de jugement de Philippe Couillard, donc.
Mais il y en aura d’autres concernant cette affaire. Dans les années qui suivent, le chef libéral devient, selon ses propres dires, «l’ami très proche» d’Arthur Porter. Mieux encore, les deux docteurs s’associent en fondant ensemble une entreprise de consultants (Couillard and Porter Associates) qui ne sera dissoute que le 4 octobre 2012. Ils siègent ensemble sur des conseils d’administration et vont à la pêche au saumon. Tout cela est maintenant bien connu. Autre erreur de jugement.
Quand il devient chef du Parti libéral, la première décision d’importance de Philippe Couillard, c’est de nommer le chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale. Il décide de garder Jean-Marc Fournier en place. À ce moment-là, je suis étonné. À sa place, j’aurais certainement demandé à mon équipe de vérifier s’il n’y avait pas quelques squelettes qui pourraient éventuellement revenir hanter mon parti. J’aurais questionné M. Fournier en lui demandant très respectueusement s’il n’y avait rien qui risquait de le mettre dans l’eau chaude. Il ne s’agit pas de condamner quelqu’un à la place des tribunaux, mais d’éviter les tempêtes politiques comme celle de cette semaine, où le numéro deux du Parti libéral a été éclaboussé. Rigueur…
J’étais donc étonné que Philippe Couillard garde M. Fournier en place pour plusieurs raisons. La première, c’est que l’ancien ministre de la Justice représente la vieille garde du Parti libéral et il me semblait que M. Couillard avait intérêt à faire le ménage et redonner un nouveau visage à son parti.
La seconde raison de mon étonnement, c’est que je croyais que le nouveau chef devait tout faire pour éloigner le spectre de l’affaire Porter. Or, en renommant Jean-Marc Fournier, il faisait exactement le contraire.
C’est là qu’entre en scène le quatrième personnage principal de notre histoire : Riadh Ben Aïssa. Détenu en Suisse pour actes de corruption, cet ancien vice-président de SNC serait accusé d’avoir versé 22 millions, entre autres à Arthur Porter, pour obtenir le contrat de 1,3 milliards de dollars du CUSM.
Avant d’aller plus loin, je veux qu’une chose soit très clairement établie ici : rien, absolument rien, ne permet de faire de liens entre M. Fournier et les actes de corruption autour du contrat du CUSM, qui sont relatés dans les journaux. Je me garderai bien de faire de tels liens et quiconque se servirait de ce billet pour le faire, détournerait mon propos.
Le lien entre MM. Fournier et Ben Aïssa est très simple et en soi, anodin : ils étaient collègues en 2009 au moment où le fameux contrat du CUSM a été octroyé à SNC. Une recherche rapide permet en effet d’apprendre, qu’entre deux mandats politiques en 2009, M. Fournier a été embauché comme «vice-président principal planification stratégique au sein de Socodec», une filiale de SNC. M. Ben Aïssa en était le président, selon cet article. Jean-Marc Fournier aurait donc été le bras droit de M. Ben Aïssa, comme il est aujourd’hui le bras droit du chef libéral.
Ce que je veux illustrer avec cette histoire, c’est qu’en reconduisant un ancien vice-président de SNC comme chef de l’opposition libérale, Philippe Couillard s’est lui-même mis dans un état de grande vulnérabilité. Il a singulièrement manqué de rigueur et/ou de jugement politique. Il devait se distancer du bilan libéral en matière d’intégrité et mettre le plus de distance possible entre Porter et lui. En reconduisant M. Fournier, il a pris une décision qui a les effets exactement inverses.
Dans les derniers jours, on a appris que l’UPAC avait effectué une perquisition (en fait, on apprend qu’il y a eu trois perquisitions. Oups! Finalement, c’est une perquisition et trois mandats) au quartier général du Parti libéral au mois de juillet, au même moment où se déroulait la tragédie du Lac-Mégantic. Le chef libéral aurait dû en profiter pour prendre les devants en annonçant la nouvelle par voie de communiqué. C’eut été doublement habile, puisqu’il aurait profité d’une éclipse médiatique pour passer relativement inaperçu et du même coup, fait la démonstration de sa volonté de transparence. Au lieu de ça, il a plongé son parti dans l’eau chaude et les élus libéraux dans l’embarras. Autre erreur de jugement, donc.
Je connais bien la dynamique des partis et des caucus de députés. Les libéraux sont très inquiets en ce moment, car ils savent qu’ils sont en train de traverser une zone de turbulence très dangereuse, en particulier en matière d’intégrité. Pour traverser une telle tempête, il faut avoir à la barre un capitaine rigoureux, au jugement politique très sûr. Mais ce qu’ils voient de leur chef depuis quelques mois, c’est tout le contraire.
Sur le navire libéral ces jours-ci, alors que retentit l’alerte rouge, le capitaine multiplie les erreurs de jugement.
Je sais ce que plusieurs libéraux se disent ces jours-ci : «Et si on s’était trompés? Si on avait mis le mauvais capitaine à la barre?»
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*Une version précédente du billet affirmait que Philippe Couillard était à l’origine de la nomination d’Arthur Porter en tant que directeur général de la CUSM. Ce sont plutôt les membres du conseil d’administration de la CUSM qui ont nommé Porter. Nous regrettons l’erreur.
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