Rencontre avec les derniers dragons sur une île perdue dans l'archipel indonésien...
Il était une fois une île très lointaine, si lointaine qu'elle en devenait une sorte de mythe. Sur cette île, vivait un dragon, ou plutôt une grande famille de dragons. Bien qu'ils ne dépassaient pas plus de trois mètres et ne crachaient pas de feu, ils étaient renommés pour décimer des buffles et semer la panique parmi les villages lorsqu'ils se décidaient à quitter leurs nids. Un jour, l'un d'entre eux mordit un villageois pour en connaître le goût, savoir si la viande était comestible. Le pauvre homme mourut peu après, et de ce jour naquit une crainte de ce dragon, à la fois paisible et féroce. Cela se passait à Komodo, en des temps immémoriaux…
Komodo se situe au carrefour des îles de Sumbawa à l'ouest et de Flores à l'est. L'île, ou plutôt le cheptel d'îles, est soumis à une caractéristique particulière que Darwin pourrait expliquer : le gigantisme. Des dragons de Komodo ou de Rinca (son homologue de l'est), aux habitants des fonds sous-marins, on y trouve un condensé de l'Indonésie en géant. Tout le contraire de Flores, connue pour son nanisme, et les découvertes récentes d'une ethnie d'Hommes "hobbits" (homo floresiensis).
A notre arrivée à Labuan Bajo, le principal port de l'est de Flores, après un vol à hélices qui en aurait fait blêmir plus d'un, on apprécie le calme et la sérénité des lieux. Le temps n'a pas de prise ici. On vit à deux à l'heure, aux sons du reggae et du fado portugais, les routes de poussière ocre jurent avec la luxuriante végétation de Sulawesi. On est aux portes du désert, et ma sensation d'une certaine familiarité avec le nord australien n'en est que plus accentuée. Sur les hauteurs de Bajo comme on l'appelle ici, on se prélasse sur un fauteuil face à la lumière des rayons du soleil qui se cache derrière l'horizon, révélant une baie aux accents méditerranéens, dans laquelle mouille une centaine d'esquifs. On finit par embarquer le lendemain à bord d'un petit bateau de plongée pour trois jours entre les mers de Flores et de Savu, réputées riches en faune, accompagnés de Nun, notre guide sous-marin et de l'insupportable Catherine, une anglo-canadienne qui révélera une étonnante capacité à poser des questions d'une finesse rare.
Oui mais voilà, je suis euphorique. La croisière est superbe, proche du sublime. Les terres qui émergent de ces eaux turquoise respirent la pureté, l'infini. Le désert a toujours été source d'inspiration pour moi, et ces îles ne font pas exception à la règle. Lorsqu'une fin d'après-midi je m'échappe du bateau en solitaire, je touche à mon Graal. Une demi-heure de montée sur une colline abrupte et je me retrouve sur le toit du monde, face à l'océan, surplombant la crique de coraux dans laquelle est ancré notre navire, je goûte aux plaisirs intenses de la brise légère qui caresse mes joues, aux cris de l'aigle qui tournoie au-dessus de ma tête, aux confins de l'horizon qui s'offre à mon regard.
Quand soudain, la vue se braque sur la dame des océans : une raie manta de quatre mètres d'envergure se tient là, à quelques mètres de nous.
Sous l'eau, des requins à pointes blanches dansent autour de nous dans un bal qui nous enivre. Des bancs de thons et de carangues se démultiplient à mesure que nos plongées avancent. Le courant est fort, on se sent parfois emporté par cette lame de fond qui soulève la foule des habitants des lieux. Et des moments magiques… Comme cette plongée dérivante où, une fois sous l'eau, on se laisse porter par le courant, le paysage défile comme un film devant nos yeux ébahis. Quand soudain, la vue se braque sur la dame des océans : une raie manta de quatre mètres d'envergure se tient là, à quelques mètres de nous. Une de ces congénères, la très rare manta noire, donne cette impression de voler tant ses nageoires ondulent dans une grâce que seuls les grands oiseaux peuvent procurer. Une autre rencontre a retenu toute ma mémoire, celle d'une seiche, qui, lorsque je mimais le mouvement de ses tentacules avec mes doigts, s'est laissée approcher, de près, de très près. Et lorsque j'étais sur le point de la toucher, elle a reculé, doucement, changeant de couleur au gré de son environnement et glissant imperceptiblement vers le fond de l'océan.
Halte obligatoire, Rinca, la plus dense en population de dragons de Komodo nous a permis d'observer ces géants du passé. Allongés sous les maisons en quête d'ombre et de nourriture, ceux-ci, tenus à bonne distance par les rangers, se laissent photographier avec toute la force contenue qui les caractérise. Au détour d'un chemin, dans la balade que l'on effectue sur l'île, un cobra cracheur se cache derrière une racine. Notre courageux (ou inconscient) ranger le déniche de son bâton et le serpent se dresse d'une vingtaine de centimètres à la verticale, prêt à lancer son venin vers nos yeux. Il n'en fera rien, tenu à respectable distance, il se contentera d'ériger cet invisible mur entre l'homme et l'animal, entre la vie et la mort.
Une dernière excursion dans une île paradisiaque, Seraya, où les lits jumeaux sans moustiquaires nous auront offert la plus piquante des nuits (au propre), et l'on quitte déjà Flores. C'est dans ces agréables circonstances et dans une dernière accolade que je laisse Jeremy à Bali, une dernière tape dans le dos en forme de l'amitié nouée au fil des semaines, rendant mon voyage encore plus intense, riche de souvenirs.
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