Chaque année, à la fin de la saison des pluies, cinq Bouddhas sont transportés sur le lac Inlé, de village en village. Une cérémonie d'offrandes se tient alors sous la pagode de Phang Daw U. Reportage.
C'est dans un état d'esprit très détendu que j'ai quitté Rangoon en direction du lac Inlé. Après une nuit en bus plutôt épuisante et quelques détours en pickup pour cause de route inondée, je suis arrivé au lever du jour dans la petite ville de Yawnghwe.
Située au nord de l'immense lac, c'est le principal point de chute des voyageurs. Bien que Inlé soit l'une des premières destinations du pays, la ville est restée sympathique. On y trouve des nombreuses auberges de différentes catégories, mais pas encore de grands hôtels en béton. Après avoir parcouru quelques rues à la recherche d'une chambre, j'ai trouvé l'endroit parfait : une petite auberge familiale avec un magnifique jardin où prendre un café bien mérité.
Depuis longtemps, la Birmanie était sur ma liste des pays incontournables. Toujours sac au dos, j'ai déjà parcouru de nombreux pays d'Asie. Aussi, aller à la rencontre des Birmans me paraissait comme une suite logique. Premièrement, pour me replonger dans cette ferveur bouddhiste, qui m'avait tant touché dans d'autres pays. Le Myanmar, comme la junte militaire l'a rebaptisé, est en effet l'un des berceaux du Bouddhisme et recèle de nombreux lieux chargés d'histoire.
Ensuite, la situation politique du pays me paraissait une bonne raison de m'y rendre. En cette période où la junte militaire semblait lâcher un peu de pression, je souhaitais découvrir par moi-même le quotidien des Birmans. Ce fut donc quelques mois avant la libération d'Hung San Suu Kyi, que je parcourus le pays.
J'imaginais, bien avant mon départ, qu'il n'y aurait que très peu de chance que je puisse découvrir réellement l'envers du décor. Ce fut effectivement le cas. Lors d'un séjour au Myanmar, tous les déplacements et hébergements sont systématiquement consignés. On vous suit parfois même dans la rue ou questionne de façon anodine sur vos opinions politiques. En répondant simplement que je faisais du tourisme et que je ne connaissais pas grand chose de ce pays, j'ai systématiquement coupé court aux questions. J'ai vite compris que de toute façon, il est très compliqué d'accéder aux zones interdites aux touristes. Aucun bus ou bateau ne vous laisse embarquer vers une destination interdite. On peut peut-être tenter d'y accéder par l'intermédiaire d'un particulier, mais il fera payer très cher l'énorme risque qu'il prend pour vous.
En se cantonnant aux zones autorisées, on ne voit absolument rien d'embarrassant pour la junte. Il n'y a donc pas plus de raisons que cela d'être surveillé. A chacune de mes rencontres avec des forces armées, j'ai même été accueilli avec autant de sourires et d'attention que chez un aubergiste.
Alors que j'observe la ville s'éveiller, avec son ballet de livreurs et autres commerçants ambulants, je remarque que la foule gonfle. Tout le village semble se rendre vers le même lieu. Devant mon air surpris, mon hôte me fait signe de suivre le mouvement, en répétant « bouddha festival » avec un large sourire.
Arrivé sur les rives du lac, je découvre alors l'ampleur de l'événement. Une tribune officielle pleine de militaires hauts gradés, une foule compacte aux fenêtres et sur les toits des voitures, tous attendent quelque chose dans une ambiance de fête foraine.
Me voyant un peu étonné de me retrouver au milieu de cette foule, un moine vient me donner quelques explications. Dans un autre village du lac, la pagode de Phang Daw U abrite cinq Bouddhas vénérés depuis des siècles. Chaque année, à la fin de la saison des pluies, les Bouddhas sont transportés sur le lac, de village en village. Mais dans les années 70, lors d'une de ces étapes, la barque se retourna. Seulement quatre des Bouddhas furent repêchés dans les eaux boueuses du lac. Mais de retour à la pagode, les habitants virent le cinquième Bouddha recouvert d'algues, revenu tout seul sur son piédestal. Depuis ce jour, il ne quitte plus la pagode. C'est une nouvelle statue qui accompagne ses quatre confrères en procession.
Sans le savoir, je suis arrivé ici pour le rendez-vous annuel le plus important de la région.
Bientôt, la barque royale fait son apparition. Tractée par des dizaines de bateaux à rameurs qui, avec une technique unique au monde, rament ici à la force d'une jambe. Après avoir accosté, les bouddhas sont transportés dans la pagode pour y être vénérés pendant trois jours. Je ne résiste pas à l'envie d'aller les voir de plus près. A condition de se déchausser, tout le monde est bienvenu dans la pagode. Tout le monde sauf, chose étonnante, les femmes. Seuls les hommes ont le droit de toucher les statues de Bouddha. Comme chacun, je fais une offrande aux Bouddhas de Phang Daw U. Les fines feuilles d'or déposées par les visiteurs sur les statues se sont tant accumulées qu'ils ne ressemblent plus aujourd'hui qu'à de gros blocs arrondis.
Bien que n'étant pratiquant d'aucune religion, j'ai ressenti une grande émotion à ajouter ma minuscule participation à cette tradition. Durant le festival, toute la ville est en fête. Les rues sont envahies de marchands en tout genre. Les habitants mangent en famille dans les pagodes et la musique résonne jour et nuit. Une ambiance conviviale garantie, entre les stands de whisky et la grande roue en bois lancée par de jeunes acrobates. Cette première étape au lac Inlé reste un souvenir formidable, tout comme chaque journée de ce voyage en Birmanie. Je sais déjà que j'y retournerai. En espérant que, d'ici là, ce début de liberté se concrétise et apporte à tous les Birmans un nouvel avenir.
Site du photographe Etienne Perra : www.epphoto.fr
Consultez la source sur Atacamag: Le festival bouddhiste du lac Inlé en Birmanie