Simone Moro, le puriste de l’extrême.
« Je suis en vie parce que j’ai su avoir peur»
Si on vous dit que dans sa jeunesse il a participé à des coupes du monde d’escalade, qu’il est monté quatre fois sur l’Everest et qu’il a à son actif trois premières ascensions hivernales de sommets de plus de 8000 mètres, vous nous répondez ? Simone Moro bien sur ! L’alpiniste italien, qui fêtera ses 45 balais dans quelques jours, s’impose aujourd’hui comme l’ambassadeur d’une certaine vision de la montagne. Loin de la massification de la pratique de l’alpiniste, celui qui confie avoir renoncé à des ascensions « parce qu’il y avait trop de monde » se fait l’ambassadeur d’une vision éthique de la montagne, mélange de respect et de défi.
Rencontre.
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Simone, peux-tu rapidement te présenter ?
Je suis né à Bergame, en Italie. J’ai débuté par l’escalade, que j’ai pratiquée à haut niveau, en participant notamment à des compétitions nationales et quelques étapes de coupe du monde. Ensuite, je me suis mis à l’alpinisme. Depuis 1992 et ma première expédition, j’ai à mon actif 47 expéditions, sur tous les continents. J’ai atteint la cime de sept des quatorze sommets de plus de 8000 mètres, et j’ai réalisé trois « premières » hivernales : le Shisha Pangma (8027m) en 2005, le Makalu (8463m) en 2009 et le Gasherbrum II (8035m) en 2011. Je suis le seul a avoir gravi trois 8000 en complète saison hivernale, c’est-à-dire que le départ de mes expéditions ne se fait jamais avant le 21 décembre.
Wow… Et sinon, ça t’arrive de faire des trucs un peu plus orientés « commun des mortels » ?
Bien sur ! J’aime me présenter en disant que je suis polyvalent. Je continue l’escalade sportive comme sur glace, je pratique également le dry tooling, et quand je suis en phase de préparation, je cours jusqu’à 140 kilomètres par semaine. Toutes ces activités me servent de préparation pour mes expéditions en haute montagne, que ce soit sur le plan physique, ou technique. C’est ce qui me permet d’être capable d’affronter les difficultés en situation extrême.
Des situations extrêmes, dans des conditions extrêmes…
C’est vrai que c’est ma spécialité. Monter sans oxygène, ni sherpa. Je considère que c’est ce qui rend l’ascension vraiment difficile, qui en fait un vrai défi. En hivernal, c’est encore plus dur, et je n’ai jamais utilisé l’oxygène durant ces ascensions. Pour moi, c’est une question éthique, de ne même pas en emporter « au cas où ». Ce serait comme faire une course avec une seringue de produit dopant dans la poche, et me demander « je l’utilise, je ne l’utilise pas ? ». J’ai fait quatre fois l’Everest, mais à chaque fois avec de l’oxygène. Et à chaque fois, j’étais frustré, parce que certes j’étais monté, mais pas de la manière que je voulais.
Mais ce n’est pas un peu trop dangereux ?
Il faut savoir que le manque d’oxygène n’arrive pas comme ça, en une seconde. Cela prend plusieurs heures, et laisse le temps de redescendre si on a la tête sur les épaules. Il m’est déjà arrivé plusieurs fois de renoncer, de faire demi-tour. Je ne l’ai jamais vécu comme un échec. Au contraire, j’ai fait demi-tour, je me suis sauvé la vie, ce sont des victoires. Si je suis encore vivant après 10 ans passés dans l’Himalaya, c’est parce que j’ai eu de la chance, que j’ai des compétences, mais surtout que j’ai su avoir peur et renoncer au bon moment. C’est fondamental pour tout alpiniste.
Si tu devais nous parler de tes meilleurs souvenirs d’alpinisme ?
Le meilleur, sans aucun doute, c’était en Antarctique, en 2002. J’ai grimpé le mont Vinson (4892m). Ce qui était très fort, c’est qu’à la période où nous y sommes allés, c’était le jour en permanence. C’est comme atterrir sur une autre planète. Un sentiment indescriptible. Et puis bien sur, dans mes meilleurs souvenirs, il y a les trois premières hivernales dans l’Himalaya. Quand tu arrives au sommet avec ton compagnon de cordée, tu réalises que non seulement tu as fait un truc énorme, mais surtout que tu entres dans l’histoire.
Et ton pire souvenir ?
Le jour de Noel 1997. Sur l’Anapurna, une avalanche est partie. Mes deux compagnons de cordée sont morts sous cette avalanche, j’étais blessé, j’avais perdu beaucoup de sang. Je suis redescendu jusqu’au camp de base tout seul, je n’avais aucun moyen de prévenir les secours. Sans aucun doute le moment le plus difficile de ma carrière. J’ai d’ailleurs écrit un livre sur cette expérience [« Cometa sul Anapurna », pas encore traduit en français, mais disponible en anglais, ndlr]
Et maintenant que tu es entré dans l’histoire, quels sont tes prochains objectifs ?
Le côté « exploration » de l’alpinisme m’attire beaucoup. Il reste trois sommets de plus de 8000m qui n’ont jamais été faits en hivernal, ce sont des objectifs pour moi. J’ai aussi une licence de pilote d’hélicoptère dans l’Himalaya, je veux consacrer plus de temps au secours en haute altitude, repousser ses limites. C’est le moment pour moi de donner plus de temps pour aider à sauver d’autres alpinistes.
Justement, si tu devais donner un conseil aux alpinistes amateurs qui nous lisent ?
Je leur dirais que dans leur sac, il y a trois choses qu’il ne faut pas oublier. Une lampe frontale, un système de GPS pour ne pas se perdre, et surtout leur bon sens. Il ne faut jamais oublier d’avoir l’intelligence de ne pas faire les choses en étant « buté ». Savoir estimer le danger, être capable de renoncer même si cela doit gâcher le travail accompli pour se préparer à un défi, ce sont des victoires qui permettent de rester en vie.
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