Au cours de la dernière décennie, les pertes abyssales des compagnies aériennes américaines suscitaient les railleries de certains experts qui prédisaient la fin de ces dinosaures, incapables de s'adapter aux dernières mutations du secteur. Entre 2001 et 2011, elles ont en effet perdu collectivement 55 milliards de dollars, et pendant quelques mois en 2005, la moitié des passagers américains était transportée par une compagnie en faillite.
Mais aujourd'hui, la donne a changé. Leurs résultats financiers impressionnent. Et l'association internationale du transport aérien (Iata) ne cesse de réviser à la hausse leurs prévisions de bénéfices pour 2012. En mars, United, numéro 1 américain, Delta (numéro 2) US Airways (numéro 5) et consorts devaient générer dans leur ensemble 900 millions de dollars de bénéfice net. Déjà relevées à 1,4 milliard en juin, les prévisions des compagnies américaines sont à nouveau réhaussées ce lundi. Elles devraient atteindre 1,9 milliard de dollars, plus du double de ce qui était espéré six mois plus tôt! Ce montant serait en amélioration de 600 millions par rapport à la performance constatée l'an dernier, et représenterait près de la moitié des bénéfices prévus pour le secteur au niveau mondial, eux aussi révisés à la hausse, à 4,1 milliards contre 3 milliards prévus. Et encore, la performance américaine est pénalisée par les pertes encore élevées d'American Airlines (numéro 3 du secteur), placée à l'automne 2011sous la protection du chapitre XI de la loi américaine sur les faillites (redressement judiciaire).
L'Europe s'enfonce
Certes, comparés à d'autres secteurs ou ramenés à leur chiffre d'affaires (près de 200 milliards de dollars en 2011), les bénéfices des compagnies aériennes américaines semblent ridicules. La marge nette (0,8 % en 2011) restera encore symbolique cette année. Mais, au regard des incertitudes qui planent sur l'avenir de la zone euro et de la cherté du pétrole qui représente près du tiers de leurs coûts opérationnels, la performance s'avère excellente. Surtout, elle contraste avec celle des compagnies européennes, dont le déclin ne cesse de s'aggraver depuis trois ans. Iata a, une nouvelle fois, révisé à la hausse le niveau de leurs pertes. Celles-ci devraient se creuser de 100 millions de dollars par rapport aux prévisions de juin, à 1,2 milliard de dollars.
La croissance du trafic est faible et le prix du baril est élevé
Pourquoi un tel écart des deux côtés de l'Atlantique ? Les compagnies américaines bénéficient-elles d'une forte croissance du trafic ? D'une économie américaine en plein essor ? D'une baisse du baril telle qu'elle permettrait à leurs flottes d'avions obsolètes d'être enfin compétitives ? Rien de tout cela. Fin septembre, Washington a annoncé avoir revu à la baisse de 0,4 point son estimation de hausse du PIB au deuxième trimestre, à 1,3%. Pas assez pour générer une hausse de trafic importante et des profits supplémentaires. « Historiquement, en dessous d'une hausse de PIB de 2 %, le secteur est en pertes », rappelait en juin le directeur général de l'Iata, Tony Tyler. D'ailleurs, le trafic passagers des compagnies américaines n'a augmenté que de 1,3% au cours des huit premiers mois de l'année. Et ne devrait progresser que de 0,5 environ % en 2012, quand il devrait croître de 5,3% au niveau mondial.Quant à une relative baisse des prix du baril, un élément qui avait permis aux majors américaines de revenir dans le vert en 2010 quand le baril échangeait à 79 dollars en moyenne, l'argument ne tient pas aujourd'hui. Les prévisions de l'Iata se fondent sur un prix moyen du baril de Brent de 110 dollars sur l'année, un prix 40 % plus élevé qu'en 2010.
Ce bienfaiteur chapitre XI
Alors pourquoi résistent-elles à ces vents contraires ? Les raisons sont bien entendu multiples. La première réside dans la faiblesse de leurs structures de coûts. Elles ont été considérablement allégées, avec les plans d'économies colossaux réalisés à travers le chapitre xi, sous la protection duquel se sont placées la plupart des majors entre 2002 et 2007 (US Airways, deux fois, de 2002 à 2003 puis de 2004 à 2005, United Airlines de 2002 à 2006, Delta et Northwest de 2005 à 2007). Une épreuve inévitable après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont amplifié une crise sérieuse qui frappait les compagnies américaines depuis la fin de 2000, en raison du ralentissement de l'économie américaine et d'une dérive sans précédent des coûts salariaux au moment où la concurrence des low-cost tirait les prix vers le bas.« Le passage des compagnies américaines sous chapitre xi constitue la principale différence avec les compagnies européennes », explique un analyste parisien. « En peu de temps, elles ont pu remettre à plat une grande partie de leurs contrats, voire de leur stratégie, alors qu'en Europe le mouvement est plus lent ». Souvent à l'abri derrière des couvertures carburant entre 2004 et 2008 - que ne pouvaient se payer les transporteurs américains, les opérateurs européens comme Air France n'ont pas su, avant la crise de 2009, s'attaquer à la baisse des coûts.
Restructurations et hausse des tarifs
Au contraire, grâce au chapitre XI, les compagnies américaines ont pu couper à la hache dans leurs effectifs (185 000 postes ont été supprimés entre 2001 et 2010, soit 25 % des effectifs), réviser les contrats de travail du personnel, et restructurer leurs dettes, notamment vis-à-vis des fonds de retraite. United a par exemple réduit ses coûts de 7 milliards par an entre 2002 et 2006. Et a continué depuis.
À tel point qu'aujourd'hui les coûts des compagnies classiques se sont rapprochés de ceux des transporteurs à bas coûts. Au prix néanmoins d'une qualité de service inférieure à celle des compagnies à bas coûts comme Jetblue ou Virgin America, et d'une palette de services payants plus développée là aussi que les low-cost... Le monde à l'envers.
Très bonne gestion des capacités
Mais sur cette structure allégée qui permet aux compagnies américaines d'être rentables malgré une explosion des coûts de 154 % entre 2000 et 2010, s'est greffé ces derniers mois un autre phénomène tout aussi déterminant : la capacité à augmenter les tarifs et à les faire accepter aux passagers. « Alors que les prix des billets diminuaient chaque année depuis dix ans, les transporteurs américains ont réussi à inverser la courbe depuis 2009 avec notamment une hausse de 33 % de la recette unitaire à l'international, alors qu'en Europe, les prix continuent de reculer », explique le même analyste. Ce retournement de tendance est complètement lié à une gestion extrêmement fine des capacités. « Les excellents résultats des compagnies américaines trouvent leur source dans une discipline conjointe en termes d'offre en sièges sur les réseaux intérieurs et internationaux », expliquait cet été Jean-Cyril Spinetta, le PDG d'Air France-KLM. En clair, les transporteurs américains ont tout simplement appliqué les vieux principes de la loi de l'offre et de la demande. La rareté faisant la cherté, la diminution de l'offre entraîne une augmentation des prix. En limitant leurs hausses de capacités à un niveau inférieur au rythme de la demande (entre janvier et août, l'offre en sièges kilomètres a été de +0,2 % pour une demande en hausse de 1,3 %), les compagnies américaines font grimper à la fois le coefficient d'occupation de leurs avions à des niveaux record (près de 85 %), mais aussi le prix des billets. « Elles ont retrouvé un pricing power qu'elles avaient perdu depuis longtemps », rappelle Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities. Initiée à la fin de 2007, quand le prix du baril commençait son ascension vers les 147 dollars (qui seront atteints en juillet 2008), cette stratégie s'est accentuée à partir du quatrième trimestre 2011, avec carrément des réductions de capacités. « La hausse du prix du carburant force les compagnies à réduire leurs capacités », confirme l'American transportation Association.
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