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L’apparition des premiers cas d’Ebola en Amérique est certes inquiétante, mais les échecs déjà constatés devraient surtout nous servir de leçon. Parce que pour l’instant, c’est Ebola 3, États-Unis 0. Trois échecs qui n’auraient pas dû se produire.
Thomas Eric Duncan, premier patient atteint d’Ebola à s’être présenté dans une urgence américaine, n’a pas été évalué correctement. Il revenait pourtant du Liberia — où il aurait fait une fausse déclaration concernant un contact avec un patient infecté — et avait de la fièvre. Deux explications possibles : ou bien les questions importantes n’ont pas été posées, ou bien le patient a menti.
De plus en plus malade, il est retourné aux urgences quelques jours plus tard. Il a alors été correctement diagnostiqué, puis isolé, et il a reçu ensuite les soins appropriés. Mais il est décédé, le 8 octobre, à 7 h 51. Entre-temps, il avait vaqué à ses occupations, approchant un certain nombre de personnes, lesquelles ont depuis été placées en quarantaine.
Infirmières contaminées
Comme en Espagne, c’est du côté des soignants qu’on peut maintenant constater les dommages : l’infirmière Nina Pham, qui a soigné Thomas Eric Duncan, a été contaminée durant son travail, bien qu’on ignore encore comment.
Le Center for Disease Control (CDC) a évoqué un «bris de protocole», mais j’ai eu beau chercher, je n’ai rien trouvé de plus sur le Web. Pourtant, cette information serait cruciale : il serait alors possible de prévenir sa répétition.
Les syndicats nationaux des infirmières donnent pourtant un autre son de cloche : il n’y aurait tout simplement pas eu de protocole en place, l’information ne circulait pas, et le personnel était mal préparé. Si c’est le cas, le problème est d’une autre nature, puisqu’on aurait failli à une responsabilité collective, ce qui est beaucoup plus grave.
Dans les jours qui ont suivi, une autre infirmière, Amber Vinson, a aussi été contaminée. Elle aurait ensuite pris l’avion, la veille de son diagnostic, ce qui a obligé les autorités sanitaires à retracer les 132 passagers du vol 1143 de la compagnie Frontier Airlines pour effectuer les suivis requis. On peut s’interroger sur le suivi du personnel avec les patients dont la contamination par Ebola était déjà confirmée.
Même si un contact direct avec les sécrétions d’un patient symptomatique est nécessaire pour attraper le virus et qu’il est très improbable que les voyageurs à bord du vol aient pu l’attraper, cela n’atténuera sans doute pas les craintes de ces passagers.
J’espère seulement qu’il est tout aussi improbable pour les travailleurs de la santé de contracter la maladie s’ils prennent les mesures requises. La difficulté de comprendre comment le virus a été transmis aux deux infirmières pourrait à son tour contribuer à la propagation de la crainte des professionnels affectés aux soins de ces patients.
Sommes-nous prêts ?
Le ministre Gaétan Barrette s’est fait rassurant, affirmant que les protocoles sont bien en place. Il faut cependant comprendre la nuance entre l’existence d’un protocole et son application concrète sur le terrain. La clé des contaminations à Dallas s’y trouve peut-être.
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Parce qu’un protocole, c’est un document écrit. Il est vrai que les protocoles existent et ont été largement diffusés dans le réseau. Ils indiquent effectivement quel matériel doit être utilisé, quelles sont les mesures à prendre pour identifier les patients, comment les isoler, comment se vêtir pour se protéger soi-même, comment disposer des liquides biologiques contaminés, comment manier les échantillons de sang — bref, apparemment tout ce qu’il faut pour bien réagir.
Mais comme pour toute urgence, surtout quand il s’agit de situations rares — en particulier si l’anxiété se met de la partie —, un protocole écrit n’est rien s’il n’est pas mis en application dans des pratiques qui, bien souvent, permettent la détection de failles peu apparentes à la lecture, puis d’en corriger les lacunes. La simulation réussie d’écrasement d’avion réalisée l’autre jour à Montréal avait exactement cet objectif.
Pratiquer les protocoles
Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières (MSF), a mentionné l’autre jour à Tout le monde en parle les délais rencontrés lors d’une simulation pour déceler, dans la salle d’attente de l’hôpital Sainte-Justine, un enfant potentiellement «contaminé» par Ebola, mais qui avait passé le triage sans encombre. Dans une urgence où une vaste quantité d’enfants consultent pour de la fièvre et proviennent de toutes les communautés, imaginez le défi de rester toujours aux aguets.
J’ose espérer que dans tous les milieux hospitaliers, diverses pratiques ont lieu pour aiguiser les réflexes. Il ne s’agit pas d’alarmer les gens : il s’agit plutôt de rassurer les médecins et le personnel soignant afin de leur permettre de mieux soigner les patients qui pourraient se trouver aux prises avec Ebola — ou d’autres infections graves et infiniment plus probables.
Parce que la première condition pour bien s’occuper de nos patients, c’est de se sentir soi-même en sécurité. C’est une règle de l’art : ne jamais se mettre en danger soi-même. Toute la science des interventions d’urgence repose sur ce principe fondamental, sans lequel pratiquer le métier de pompier, de paramédic, de policier, d’urgentologue ou d’infirmière d’urgence — sans compter tout le personnel — serait humainement impossible.
Soyons clairs : des cas réels d’Ebola, il est improbable d’en rencontrer chez nous. Mais plusieurs patients continueront de se présenter avec de la fièvre et d’autres facteurs de risque pour la maladie. A priori, pour chacun de ces cas, il faut agir comme s’il s’agissait d’un patient porteur d’Ebola, avec tout le stress que cela peut engendrer sur les soignants… surtout si des doutes existent quant à la suffisance des moyens de protection en place.
C’est d’autant plus important au vu de l’expansion à peu près certaine de l’infection en Afrique, de la présence de patients non identifiés en sol nord-américain et des difficultés d’identification et d’isolement des premiers cas rencontrés.
Mieux vaut être trop préparé que pas assez. À cet égard, une telle préparation est garante du maintien de la capacité d’action des soignants et permettra surtout d’éviter la panique, souvent causée par le manque d’information et l’incertitude quant à la capacité de se protéger.
Il s’agit là de problèmes réels, et qu’il faut régler. Parce que malgré tout, ce sont des problèmes de sociétés riches. Si l’Afrique n’avait que ces problèmes à régler, elle serait bien heureuse.
Le drame de l’Afrique
C’est évidemment loin d’être le cas : les ressources de base manquent, les travailleurs de la santé sont eux-mêmes affectés, le manque d’information nuit à la lutte contre la maladie et les problèmes sociaux engendrés par la présence du virus vont croissant.
Sans compter les problèmes endémiques touchant les besoins fondamentaux, comme la nourriture, l’eau et la sécurité, qui contribuent aux difficultés rencontrées pour affronter des crises plus ponctuelles à l’instar de celle d’Ebola.
De très loin, le plus gros problème sanitaire, humain et de santé publique concernant Ebola, c’est l’Afrique. Jusqu’à 10 000 cas par semaine pourraient s’y déclarer à partir de décembre, dans un contexte où les ressources et les soins sont largement insuffisants. Pour l’instant, dans ces pays, c’est donc «Ebola 4 447, reste du monde 0» — peut-être le titre que j’aurais dû utiliser.
Quoi qu’il en soit, il est temps d’agir, tout le monde le dit. La présidente québécoise de MSF s’était d’ailleurs montrée pessimiste, en septembre dernier, affirmant au nom de son organisme que le monde «perdait la bataille contre l’Ebola».
L’ONU lance un nouveau cri d’alarme : le monde serait en train de «perdre la guerre contre le virus Ebola». L’épidémie «est loin devant nous ; elle va plus vite que nous et elle est en train de gagner la course», selon Anthony Banbury, chef de la mission des Nations unies chargée d’Ebola.
Si perdre une bataille, c’est déjà beaucoup trop, perdre la guerre contre Ebola, on ne peut même pas l’envisager. Il est plus que temps de consacrer les ressources requises internationalement pour juguler le problème à la source, tout en complétant chez nous la préparation requise.
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À propos d’Alain Vadeboncœur
Le docteur Alain Vadeboncœur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, où il enseigne, il participe aussi à des recherches sur le système de santé. Auteur, il a publié Privé de soins en 2012 et Les acteurs ne savent pas mourir en 2014. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter :@Vadeboncoeur_Al.
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