La nouvelle a fait le tour du monde ces dernières heures : une maison d’opéra de Perth, en Australie, écarte le projet de monter Carmen en 2015 pour ne pas froisser l’un de ses commanditaires, Healthway, un organisme faisant la promotion de saines habitudes de vie.
Montrer une jeune gitane qui travaille dans l’industrie du tabac et roule des cigares sur ses cuisses, ça ne vaut pas le risque de compromettre une commandite de 400 000 dollars, selon la direction du West Australian Opera, qui interdit la production du chef-d’œuvre de Bizet sur ses planches pour les deux prochaines années, soit très exactement la durée de son entente avec Healthway.
Une décision qui surprend d’autant plus que l’organisme, s’il se réjouit de cette annonce, assure ne pas avoir formulé officiellement une telle exigence.
La population australienne serait très divisée sur la question. Le premier ministre Tony Abbott, lui, en a rassuré plusieurs en condamnant vertement cette dérive antitabac, la qualifiant de «rectitude politique frôlant la folie».
Abbott, dont le parti pris pour un champ culturel libre d’entraves idéologiques fera l’envie des communautés artistiques de certains pays, en a rajouté en disant : «Nous n’interdisons pas Hamlet sous prétexte qu’il fait la promotion du meurtre des rois !»
On pourrait s’amuser à faire avec Tony Abbott la liste des œuvres en péril si les directeurs de lieux de diffusion culturelle veulent à ce point flatter les organismes comme Healthway. Faut-il interdire Don Giovanni parce qu’on y montre un viol ? Salomé pour ses passages nécrophiles ?
Et, si on élargit, bannir les livres de Jack Kerouac ou de Charles Bukowski parce que l’alcool y coule à flots et qu’on s’y adonne à une sexualité débridée ? La chanson Cocaine, popularisée par Eric Clapton, parce que le refrain peut avoir une connotation prodrogue ? La chanson Lucy In The Sky With Diamonds parce que John Lennon a peut-être sciemment imaginé un titre dont les initiales étaient «LSD» ?
Plus sérieusement, si la nouvelle enflamme la Toile et nourrit à ce point les débats, c’est qu’elle réveille la sempiternelle question suivante : l’art doit-il parfois se plier à des exigences morales, éthiques, politiques, économiques ? Est-il justifiable de voir dans le contenu d’une œuvre un discours «pro» ceci ou «anti» cela?
Cet effarant parasitage du monde artistique par celui des affaires nous ferait peut-être sourire si on ne craignait pas qu’il donne des idées à certains de nos gestionnaires locaux, dont on peut douter que les principes soient aussi fermes que ceux du premier ministre australien.
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