Encerclez cette date sur votre calendrier. Le 25 août 2014, la jeune sensation du baseball amateur Mo’ne Davis, une lanceuse de 13 ans, a fait la une du magazine américain Sports Illustrated. Un événement au moins aussi remarquable que sa balle rapide de 112 km/h et que le blanchissage qu’elle a réussi dans un match de la série mondiale junior.
Remarquable pourquoi ? Parce que 1) Mo’ne Davis est une fille, 2) elle est montrée habillée, et 3) elle est présentée en train de pratiquer son sport.
Feuilletez l’ensemble des unes de Sports Illustrated pour l’année 2014. Vous y verrez une succession d’hommes aux allures de guerriers ou croqués dans le feu de l’action ; ici et là, quelques femmes souriantes qui ont l’air de n’avoir jamais sué ; des mannequins en monokini sur une plage. Et puis, comme égarée dans ce lot, Mo’ne Davis qui s’élance sur son monticule, les traits déformés par l’effort, comme une vraie de vraie athlète.
Une étude menée par deux sociologues de l’Université de Louisville, au Kentucky, confirme que des images comme celle-là sont rarissimes. Des femmes ont figuré sur à peine 5 % des couvertures du magazine de 2000 à 2011. Si on ne compte que les pages où elles occupaient une place prépondérante, excluant celles où elles étaient accessoires, anonymes ou complémentaires à une vedette masculine, on tombe à 2,5 %.
Mais le plus déconcertant, c’est que la situation ne s’est pas améliorée en 50 ans : elle a empiré ! De 1954 à 1965, les lecteurs de Sports Illustrated ont pu voir des femmes sur 12,6 % des premières pages. C’est deux fois et demie plus souvent qu’au cours des années 2000.
En tenue de sport ou à moitié nues, les femmes font deux fois et demie moins souvent la une de Sports Illustrated qu’il y a 50 ans.
Par ailleurs, les athlètes féminines, quoique de plus en plus nombreuses et compétitives dans la « vraie vie », disparaissent aussi du petit écran. La place accordée aux sports féminins à la télé a atteint, en 2009, son plus bas niveau depuis au moins 20 ans, ne récoltant que 1,6 % du temps d’antenne des trois grands réseaux américains, selon un rapport de l’Université de Californie du Sud.
Force est de constater qu’à mesure que les femmes ont fait des gains sur à peu près tous les terrains depuis un demi-siècle, elles ont été peu à peu écartées de certains médias populaires. Ou alors elles n’y sont admises que sous une forme — celle d’un objet sexuel — qui neutralise tout ce qu’elles ont pu accomplir.
Prenez le magazine de culture populaire Rolling Stone, dont les unes, elles aussi, sont consacrées majoritairement à des hommes. Des sociologues de l’Université de Buffalo, dans l’État de New York, ont mesuré la « sexualisation » des pages couvertures des quatre dernières décennies, à l’aide d’un système de pointage de leur cru : 4 points pour une star en sous-vêtements, 3 points pour des jambes ouvertes, 2 pour une langue apparente ou un doigt dans la bouche, 2 pour un pantalon déboutonné, et ainsi de suite.
Au fil des ans, il est devenu presque impossible pour une actrice ou une musicienne de faire la une de cette publication sans que sa sexualité soit soulignée à traits de plus en plus grossiers. Dans les années 2000, 83 % des femmes en couverture étaient ainsi « sexualisées », contre 44 % dans les années 1960. Les hommes aussi se sont « sexifiés » avec le temps, mais jamais au même rythme : depuis 40 ans, la proportion d’images masculines de ce genre est passée de 11 % à 17 %.
Une autre tendance troublante ressort de leur analyse : les femmes ne sont pas seulement sexualisées à répétition, mais « pornographiées ». Les chercheuses ont créé une sous-catégorie « hypersexualisée » pour les images ayant obtenu le plus de points sur leur échelle — des photos particulièrement provocantes de vedettes presque nues, couchées dans un lit ou contorsionnées dans des positions lascives, voire simulant des actes sexuels. Si les hommes ne sont presque jamais présentés de la sorte (2 % seulement de leurs photos de unes tombent dans cette catégorie), pas moins de 61 % des femmes sont aujourd’hui montrées de cette façon en couverture de Rolling Stone. C’est-à-dire pas du tout comme des artistes dont les compétences ont pu leur valoir cet honneur. Mais comme des instruments de plaisir sexuel à la disposition de celui qui les consomme, en parfaite contradiction avec l’autonomie qu’elles ont conquise par ailleurs.
Que cela ne nous empêche pas de célébrer ses exploits… mais il faut bien se rendre à l’évidence : Mo’ne Davis n’est pas le symbole d’une progression irrémédiable vers une représentation équitable des sexes dans les médias de masse. Elle est une extraordinaire anomalie.
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