Depuis une semaine, le Parlement fédéral est déchiré par un débat assez surréaliste au sujet de la pertinence des réponses données à la période des questions. L’affaire a même fait l’objet d’une journée d’opposition qui s’est conclue par un vote sur une motion néo-démocrate proposant que le président de la Chambre puisse intervenir lorsque le premier ministre, ses ministres ou ses secrétaires parlementaires ignorent complètement l’objet de la question. La motion a été défaite, à l’étonnement de… personne.
Pour le commun des mortels, l’issue de ce débat aux allures existentielles est sans ambiguïté. Comme l’a bien dit une députée néo-démocrate, on s’attend, lorsqu’il est question de patates, à ce que la réponse porte sur des patates et s’il est question de bananes, qu’elle porte sur des bananes.
On en est rendu là parce qu’au fil des ans, la période des questions quotidienne — le moment privilégié pour exiger des comptes de l’exécutif dans le cadre d’un gouvernement responsable — s’est transformée en cirque farouchement partisan.
Le sommet a été atteint il y a un peu plus d’une semaine, quand le secrétaire parlementaire du premier ministre, Paul Calandra, a répondu à de très sérieuses questions sur la mission en Irak posées par le chef du NPD, Thomas Mulcair, en l’attaquant pour des propos sur Israël tenus par un obscur néo-démocrate. Trois questions, trois réponses du même acabit.
Après avoir demandé au président Andrew Scheer d’intervenir, en vain, M. Mulcair n’a pu s’empêcher de mettre en doute l’impartialité de cet arbitre des débats parlementaires. Frustré, le NPD a donc décidé de forcer un débat sur la question et a demandé une modification des règles afin d’accorder explicitement au président le pouvoir de rappeler à l’ordre ceux qui répondent n’importe quoi.
Les députés néo-démocrates, libéraux, bloquistes, verts et indépendants ont appuyé la motion sans hésiter. Trois conservateurs ont osé faire la même chose, mais la majorité de leurs collègues a suivi la parade menée par le leader parlementaire conservateur, Peter Van Loan.
En d’autres mots, ils ont voté de manière à continuer de répondre n’importe quoi, à maintenir le ton partisan qui prévaut aux Communes, à travestir à chaque détour le principe de gouvernement responsable tel que compris en démocratie parlementaire.
Les arguments offerts par M. Van Loan pour justifier son opposition à la motion le démontrent de façon limpide. «Ce qu’il faut vraiment comprendre de la motion du chef du NPD, c’est qu’il s’agit d’une réaction d’une vive sensibilité à tout effort pour exposer les questions sur lesquelles le Nouveau Parti démocratique et le chef de l’opposition officielle doivent rendre des comptes aux Canadiens. Le chef de l’opposition veut que les règles changent pour éviter de devoir répondre à des questions difficiles ou de laisser qui que ce soit connaître la vérité absolue, ici, à la Chambre des communes», a-t-il affirmé.
La période des questions n’a jamais eu pour but de demander des comptes à l’opposition ! La tâche fondamentale du Parlement est de tenir le gouvernement responsable. Profitant de la méconnaissance que bien des citoyens ont de notre système, M. Van Loan tente de faire oublier qu’en vertu du parlementarisme de style britannique, l’exécutif doit jouir de la confiance de la Chambre pour exercer le pouvoir. Sans cette confiance, il ne peut gouverner et c’est pour conserver cette confiance qu’il doit lui rendre des comptes.
Si M. Van Loan voulait garder le droit de lancer des flèches à l’opposition, rien dans la motion néo-démocrate ne le lui interdisait. Elle exigeait seulement que ses réponses et celles de ses collègues portent sur le sujet soulevé. En un mot, qu’elles soient pertinentes.
Un point sur lequel les conservateurs ont toutefois raison, c’est la qualité souvent relative des questions. Elles sont presque toujours accompagnées d’un long préambule d’une grande partisanerie. Les députés, qui semblent souvent incapables de les poser sans lire, semblent souvent ne rien entendre des réponses puisqu’ils les répètent souvent mot pour mot dans l’autre langue officielle. Et s’ils ne se répètent pas dans l’autre langue, ils vont souvent lire leur question supplémentaire comme si rien n’avait été dit, présumant qu’on ne leur répondra pas et ne réalisant parfois pas qu’on leur a répondu — et oui, ça arrive.
L’efficacité des questions directes, sans préambule, a été démontrée par le chef du NPD, Thomas Mulcair, dans le cas du scandale Wright-Duffy, de la réforme électorale ou encore de la mission irakienne. Quand il n’obtient pas de réponse, ce qui est fréquent, il réussit au moins à mettre en relief l’esquive ou la mauvaise foi du gouvernement.
Le sommet atteint par Paul Calandra a d’ailleurs provoqué un tollé assez puissant pour le forcer à s’excuser. Ce spectacle était tout aussi désolant que le premier, puisqu’il a insisté pour dire, la larme à l’œil, qu’il était le seul responsable de son comportement alors qu’on sait très bien que personne ne répond au nom du premier ministre sans s’être fait dicter sa conduite. Et le pire est qu’il a avoué que ce ne serait pas la dernière fois qu’il ne répondrait pas à une question de façon satisfaisante.
C’est finalement pour faire cela sans vergogne que les conservateurs ont défait la motion néo-démocrate. Le président pourrait, s’il le voulait, intervenir, mais rien d’explicite ne l’y oblige, et comme Andrew Scheer est reconnu pour sa mollesse, son manque d’autorité et sa complaisance, les conservateurs savent qu’ainsi, ils n’auront pas à s’inquiéter. Ils pourront encore répondre n’importe quoi.
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À propos de Manon Cornellier
Manon Cornellier est chroniqueuse politique au Devoir, où elle travaille depuis 1996. Journaliste parlementaire à Ottawa depuis 1985, elle a d’abord été pigiste pour, entre autres, La Presse, TVA, TFO et Québec Science, avant de joindre La Presse Canadienne en 1990. On peut la suivre sur Twitter : @mcornellier.
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