L’incident que raconte Madeleine Roy, de l’émission Enquête, aurait dû être classé sans suite. Il en a été tout autrement.
Au petit matin du 16 décembre 2005, une préposée aux bénéficiaires que nous appellerons Stéphanie, supervisant seule une unité de 35 patients souffrant de l’Alzheimer, ramène vers sa chambre un patient de 77 ans ayant besoin qu’on lui change sa couche-culotte. En chemin, cet homme, que nous appellerons M. Charles, trébuche et se met à hurler.
Stéphanie se précipite vers le téléphone pour demander du renfort, mais retourne aussitôt s’occuper de son patient, qui s’agite et manque de se blesser. Elle tente de le relever, en vain, puisque les bas de M. Charles glissent sur le sol. Elle entreprend alors de le tirer par les bras jusque dans sa chambre, située à quelques pas de là. Dans son environnement familier, M. Charles finit par se calmer et se met difficilement debout, avec l’aide de Stéphanie.
Le lendemain, cette dernière se réveille brusquement quand elle réalise qu’elle a oublié de remplir un rapport d’incident. Avant même d’avoir la chance d’en glisser un mot à sa superviseure, les médias de la province s’emparent de l’affaire et diffusent sur toutes les ondes cinq secondes d’une vidéo où l’on aperçoit Stéphanie traîner M. Charles au sol.
La préposée ignorait que la fille de M. Charles avait dissimulé une caméra dans la chambre, et que toute la scène avait été filmée.
« Film d’horreur dans un CHLSD ». « Des gestes barbares ». Les manchettes sont brutales.
Faisant face à des accusations criminelles de voies de fait, Stéphanie sera acquittée au bout de deux ans de procédures. Le juge, qui a pu visionner l’ensemble de la vidéo, a dépeint une scène bien différente de celle véhiculée par les médias. Car, au-delà des cinq secondes qui ont détruit la vie de Stéphanie, il y avait plusieurs minutes de films qui ont aidé à mieux comprendre la situation.
« Elle ne semble pas perdre patience. [...] Aucune forme d’agressivité n’est perceptible [...] on voit par la suite madame, après avoir relevé monsieur, lui changer sa couche culotte [...] avec douceur et sollicitude. [...] Les gestes posés par Mme [...] en le traînant par terre [...] sont inappropriés, disgracieux, voire choquants, quand on n’en connaît pas le contexte », dit le jugement.
Dans son texte publié sur le site d’ICI Radio-Canada, Madeleine Roy fait état du lourd tribut payé par Stéphanie, qui, aux dires de ses supérieurs, était pourtant une bonne employée.
« Certes, elle avait commis une faute professionnelle en tirant M. Charles sur le sol et en omettant de déclarer l’incident, mais cela méritait-il un congédiement ? Cela méritait-il un procès criminel ? Cela méritait-il d’avoir à mettre une croix sur sa carrière ? »
Elle a commis une erreur de jugement, mais la fille de M. Charles aussi. Et certains médias, en omettant tout contexte, l’ont cloué au pilori.
« C’était l’enfer, j’ai été traumatisée de ça. […] J’ai été obligée de recommencer ma vie à zéro. »
Quel gâchis.
Pour plus d’informations : « Une vidéo de 5 secondes brise la vie d’une bonne préposée », sur Ici.Radio-Canada.ca.
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