Les souverainistes québécois ont suivi avec attention la campagne référendaire d’Écosse. L’essor du nationalisme, là-bas, prend les allures d’un quasi-miracle qui réconforte les indépendantistes de ce côté-ci de l’Atlantique, après des années de mauvaises nouvelles. Plusieurs rêvent d’appliquer ici le modèle écossais. Est-ce une bonne idée du point de vue des partisans de la souveraineté du Québec ?
Notons d’abord que les indépendantistes d’Écosse ont réussi à grossir leurs rangs rapidement. Ils étaient relativement marginaux il y a à peine quelques années. Ils ont toutefois été capables de former un gouvernement majoritaire à Édimbourg, d’organiser un référendum et d’obtenir 45 % du vote, alors qu’une cinglante défaite se profilait au départ.
Tout cela démontre que la question nationale est loin d’être dépassée. Il n’y a pas que les soi-disant « vraies affaires » qui comptent dans la vie d’un peuple. Les Écossais ont à cœur les questions économiques; ils jouissent d’un haut niveau de vie, mais se préoccupent aussi de leur statut constitutionnel. Comme quoi, on peut marcher et mâcher de la gomme en même temps.
Il n’en fallait pas davantage pour que la stratégie écossaise soit donnée en exemple. Parmi les bienfaits de cette approche, on cite l’immigration. Les nationalistes d’Écosse auraient su rallier beaucoup d’immigrants à leur cause. Ceci est loin d’être démontré. Mais, même en tenant pour acquis que cela est un tant soit peu vrai, il reste que la question des nouveaux venus se pose là-bas dans un contexte très différent : on y parle anglais. Au Québec, il faut obliger les immigrants à aller à l’école française, sans quoi un grand nombre se tournerait vers la langue de Shakespeare pour éduquer leurs enfants. L’attraction de la langue majoritaire au Canada et l’influence de la culture américaine font en sorte que les néo-Québécois n’ont ni l’attachement des natifs à la culture francophone, ni la même conscience de sa fragilité. Pour plusieurs, le français n’est qu’utilitaire; ils doivent le parler pour se scolariser et ensuite pour travailler. Il sera donc toujours difficile de les convaincre du bienfondé du projet indépendantiste.
En somme, ce que certains décrivent comme le nationalisme supposément « ouvert » des Écossais – par opposition à la fermeture et l’étroitesse d’esprit qui prévaudraient ici – existe dans un contexte bien différent de celui du Québec. Mais qu’importe, les indépendantistes écossais ont mis l’accent sur le progressisme, l’accès à l’éducation et la solidarité sociale. Autant d’attributs que les souverainistes québécois devraient cultiver. Le problème est que ce genre de politique divise les Québécois, selon qu’ils sont de droite ou de gauche. Si le but est de faire du Québec la patrie de la social-démocratie, ceux qui sont plus conservateurs n’ont aucune raison de voter Oui.
De plus, le Québec n’a nul besoin d’être souverain pour être social-démocrate. Le Québec possède déjà beaucoup de compétences pour favoriser la solidarité sociale. Il ne revient qu’à lui de les utiliser. En ce qui a trait aux pouvoirs détenus par Ottawa, il suffirait que le NPD soit élu à Ottawa pour avoir la social-démocratie aux deux paliers de gouvernement et le tour serait joué.
Le député péquiste Alexandre Cloutier est allé en Écosse durant le référendum. Il vante depuis le livre blanc sur l’indépendance que le gouvernement écossais a publié avant le référendum. Rien de moins que 670 pages détaillant le pourquoi et le comment de la souveraineté. Une telle publication aurait eu le mérite de clarifier les choses et de rassurer les Québécois.
Tout cela est bien beau, mais cela n’a tout de même pas empêché les unionistes de jouer à profusion sur l’argument de la peur. La même chose est arrivée au Québec lors du référendum de 1995, et, surtout, celui de 1980. Dans ce dernier cas, le gouvernement péquiste avait produit, lui aussi, un livre blanc de 118 pages, qui expliquait la souveraineté-association. Ce qui n’a nullement empêché les ténors fédéralistes de semer avec succès un sentiment d’inquiétude économique quant à la possibilité d’un Oui.
Dans les cercles souverainistes québécois, la liste des vertus attribuées à la méthode écossaise ne cesse de s’allonger, par les temps qui courent. Moins revancharde, plus tolérante, moins ethnique, plus citoyenne, et j’en passe. Mais la chose que plusieurs semblent oublier, c’est que les indépendantistes écossais ont perdu. Avec 45 % du vote, ils ont fait moins bien que les 49,4 % obtenus par leurs cousins québécois en 1995. Si le but du jeu est de savoir qui connaîtra la défaite la plus honorable, ce serait plutôt aux indépendantistes d’ici de prodiguer leur conseil.
Finalement, il ne faut pas oublier que le Québec a déjà tenu deux référendums sur la souveraineté. Obtenir 45 % du vote dans un troisième exercice ne serait pas honorable, mais plutôt catastrophique, notamment pour le rapport de force du Québec dans le Canada. Appliquée ici, la méthode écossaise relève bien plus du mirage que du miracle.
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À propos de Frédéric Bastien
Frédéric Bastien est professeur d’histoire au Collège Dawson et l’auteur de La Bataille de Londres : Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel. Il détient un doctorat en histoire et politique internationale de l’Institut des hautes études internationales de Genève.
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