L’État devrait non seulement assurer la gratuité scolaire à l’université, il devrait carrément verser un salaire aux étudiants. «C’est la mesure radicale peut-être mais nécessaire qui assurera à chacun le droit d’entrée à l’Université», écrivait un certain étudiant en droit du nom de… Robert Bourassa, en 1954.
Publiée dans le journal de la Société des débats de l’Université de Montréal, la lettre de Bourassa, l’un des plus illustres prédécesseurs de Philippe Couillard, rappelle que l’idée de la gratuité scolaire a déjà été en vogue au Québec. Le projet figurait même au programme du Parti libéral, sous Jean Lesage, lors des élections de 1960 !
Dans le contexte budgétaire actuel, il serait pour le moins étonnant que le Parti libéral ressuscite cette idée. Deux ans après le «printemps érable», l’idée refait néanmoins surface ces jours-ci avec la publication de Libres d’apprendre, un recueil de textes en faveur de la gratuité scolaire auquel ont notamment contribué Lise Payette, Normand Baillargeon et Noam Choamsky. Un groupe de chercheurs du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) vient aussi de publier un texte sur cette question, commenté ici par l’économiste Pierre Fortin.
Pour ajouter au débat, voici donc le texte intégral du plaidoyer de Robert Bourassa, en 1954. (Pour mémoire : devenu premier ministre du Québec, en 1970, Bourassa biffait du programme de son parti l’idée de la gratuité scolaire.)
L’étudiant a-t-il droit à un salaire?
Poser une telle question dans les conditions présentes n’est pas sans faire montre d’une certaine ironie. En effet, loin de recevoir ce salaire, l’étudiant d’aujourd’hui doit pourvoir à des dépenses scolaires qui subissent des hausses continuelles et qui excèdent souvent sa capacité de payer. On peut y voir peut-être une raison de plus pour justifier le mérite d’une allocation de l’État. L’étudiant dans le besoin, plus que tout autre membre de sa société, nécessite une attention particulière. Par ses études, il façonne les éléments de toute sa vie professionnelle et humaine. Qu’il puisse se préparer à la vie avec le maximum d’intensité, il ne sera, plus tard, que plus utile aux siens et à la société. Un manque de finance ne se tolère pas dans le cas de l’étudiant. Si trop souvent il n’a le temps que de travailler et d’expédier ses études, il deviendra ce parfait technicien, vide de culture, ou même, ce technicien médiocre qui profitera de la société au lieu d’y jouer son rôle prépondérant.
Au seuil de la vie, diplôme en main, après plusieurs années exténuantes de travail intellectuel et physique, le jeune professionnel a épuisé sa réserve de courage. Il est devenu l’arriviste averti qui prendra le chemin le plus court pour atteindre le succès, peu soucieux de sa droiture. Ce sont là de faits que l’on peut observer tous les jours.
Un seul correctif s’ajuste à cette pénible situation: l’allocation régulière à l’étudiant, apte à lui permettre une économie de santé et à lui ouvrir l’accès à son plein développement intellectuel. Et le salaire n’aurait pas que cet effet. Il offrirait à tous les jeunes talents habilités à faire des études spécialisées, la possibilité de les accomplir. Une nation qui aspire à la durée doit permettre à toutes ses forces vives de s’épanouir. Elle doit permettre à chacun d’aller là où il peut donner son meilleur rendement. Le salaire étudiant est la mesure radicale peut-être mais nécessaire qui assurera à chacun le droit d’entrée à l’Université.
On objectera le surpeuplement. C’est chose facile que de l’éviter en élevant les exigences. Et ce serait pour le mieux. L’essentiel est que le talent se substitue à l’argent comme critère d’accès aux études universitaires.
Ce serait donc ouvre utile et juste que l’État que de nous accorder ce salaire. Nous représentons la continuité de la nation; et si nous ne sommes pas utilisables, immédiatement, nous formons présentement la part la plus riche de l’avenir. En nous aidant, l’État agit en en fonction du progrès de la société qu’il dirige. Il apparait alors que ce soit son devoir de nous aider.
Robert Bourassa, étudiant en droit
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