Il n’est pas toujours facile de faire des affaires au Québec, et la conciliation quotidienne entre les exigences de la mondialisation et la protection de la langue française fait partie des irritants réels (ou potentiels) qui peuvent compliquer la vie des entreprises.
Cette histoire de Bombardier, qui pourrait envisager d’effectuer ses travaux en recherche et développement (R&D) à l’extérieur du Québec si une entente n’est pas possible avec l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), est en l’exemple type.
Il est impossible de faire partie d’un ordre professionnel au Québec si on n’a pas une connaissance appropriée, à l’exercice de sa profession, de la langue française. Pour attester qu’un médecin, psychologue ou chimiste anglophone (ou qui parle une autre langue) puisse travailler au Québec, il doit donc obligatoirement réussir un examen administré par l’Office québécois de la langue française.
On comprend la logique. Un psychologue ou un médecin qui travaille au Québec devrait être en mesure de servir des clients ou des patients francophones, tout comme des chimistes ou des géologues devraient pouvoir communiquer en français dans leur milieu de travail.
Mais comment faire si, pour les besoins d’un projet international, vous faites venir à Montréal votre meilleur ingénieur en systèmes et composantes, ou votre spécialiste incontesté en propulsion, pour travailler ou pour diriger un programme spécifique — surtout si ces ingénieurs sont Américains, Chinois ou Indiens ? Il y a fort à parier que ces personnes ne parlent pas français, mais qu’elles se débrouillent fort bien en anglais. Ces personnes sont formidablement formées et qualifiées et elles portent le titre d’ingénieur dans leur pays, mais au Québec, elles ne le sont pas, car elles ne parlent pas français.
L’Ordre des ingénieurs du Québec a déposé 27 plaintes contre Bombardier Aéronautique parce que certains de ses employés auraient effectué un travail d’ingénieur, ou sans la supervision obligatoire d’un ingénieur, au sens québécois de la loi.
Bombardier n’est pas la seule entreprise dans son cas, a déclaré Suzanne Benoît — la PDG d’Aéro Montréal (la grappe industrielle qui regroupe tous les joueurs de l’industrie) — à Radio-Canada, mardi. Des spécialistes en aéronautique qui ne sont pas membres de l’Ordre des ingénieurs, il y en a dans plusieurs entreprises. «S’ils viennent du Royaume-Uni et qu’ils ne parlent pas le français, ils ne peuvent pas être membres de l’Ordre, à court terme », a-t-elle dit.
Chez Bombardier, on a vivement réagi aux plaintes déposées par l’OIQ. La réplique se résume en quelques mots : aussi bien aller faire notre R&D ailleurs s’il en est ainsi.
Le coût serait énorme pour le Québec et la région montréalaise, car Bombardier est le premier investisseur au Canada en recherche et développement, et elle emploie 2 300 personnes dans ce domaine à Montréal.
Ce dossier pose la question plus large de l’attractivité du Québec et de Montréal comme centre d’affaires internationales.
Il y a 2 000 filiales de sociétés étrangères à Montréal, qui comptent pour 20 % du PIB de la métropole. Seulement 13 % d’entre elles proviennent de France. Croyez-vous que toute la direction de ces sociétés parle français ? Cela se pose aussi dans le domaine scientifique, où Montréal dispute à d’autres grandes villes les meilleurs cerveaux de la planète.
L’arbitrage entre la promotion (et la défense) de la langue et les exigences du milieu des affaires doit se faire avec doigté et bon sens. Je ne crois pas que les plaintes de l’Ordre des ingénieurs soient de cette nature.
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À propos de Pierre Duhamel
Journaliste depuis plus de 30 ans, Pierre Duhamel observe de près et commente l’actualité économique depuis 1986. Il a été rédacteur en chef et/ou éditeur de plusieurs publications, dont des magazines (Commerce, Affaires Plus, Montréal Centre-Ville) et des journaux spécialisés (Finance & Investissement, Investment Executive). Conférencier recherché, Pierre Duhamel a aussi commenté l’actualité économique sur les ondes du canal Argent, de LCN et de TVA. On peut le trouver sur Facebook et Twitter : @duhamelp.
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