L’ex-caporale des Forces canadiennes Stéphanie Raymond, qui a porté plainte pour agression sexuelle contre un supérieur de son régiment, défend sa version des faits cette semaine devant un tribunal militaire, à Québec.
Son présumé agresseur, l’adjudant André Gagnon, a plaidé non coupable, lundi, à l’accusation d’agression sexuelle qui pèse contre lui. Son procès devrait durer d’une à deux semaines. La présentation de la preuve débute mardi avec le témoignage et le contre-interrogatoire de la plaignante.
La jeune femme de Saint-Romuald, près de Québec, a raconté son expérience publiquement, en avril, à l’occasion d’un dossier explosif sur les crimes sexuels dans l’armée, publié dans L’actualité et repris dans Maclean’s.
C’est l’histoire d’une fête de Noël qui a mal tourné, mais aussi celle d’un système de justice militaire qui a longtemps ignoré sa plainte, et d’une chaîne de commandement qui a tout fait pour qu’elle abandonne ses démarches. Ce témoignage, et plusieurs autres rapportés dans nos pages, ont eu des retentissements jusqu’à la Chambre des communes, et ont amené le chef d’état-major de la défense à déclencher, en juin, un examen indépendant des politiques de son organisation en matière de violences sexuelles.
Il appartient à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable que les choses se sont déroulées comme Stéphanie Raymond l’allègue, le soir du 15 décembre 2011. Après un dîner de Noël bien arrosé avec le personnel du Régiment de la Chaudière, la caporale s’est retrouvée seule avec l’adjudant Gagnon, un collègue d’un grade supérieur, au manège militaire de Lévis. C’est là qu’il l’aurait agressée sexuellement. La jeune femme a porté plainte quelques semaines plus tard à la police militaire, sur la base de Valcartier.
Presque deux ans se sont écoulés entre le dépôt de cette plainte et la mise en accusation formelle d’André Gagnon. Ce qui s’est produit dans l’intervalle illustre les failles dans la manière dont l’institution réagit aux allégations de ce genre. Les enquêteurs à qui la jeune femme s’est confiée, en janvier 2012, ont d’abord rejeté sa plainte pour des motifs farfelus, sans même interroger l’adjudant.
Au cours des mois suivants, Stéphanie a multiplié les recours auprès d’autorités diverses dans l’espoir d’obtenir justice. Ses supérieurs ont semblé prendre parti, faisant pression sur elle pour qu’elle laisse tomber sa bataille, et lui rendant la vie difficile par toutes sortes de moyens qu’elle interprète comme des représailles. À force de se démener de la sorte, la caporale a fini par être considérée comme un « fardeau administratif » aux yeux de l’armée, et elle a été congédiée.
Ainsi, lorsque l’accusation a finalement été déposée contre son présumé agresseur, en novembre 2013, Stéphanie avait déjà rendu son uniforme et dit adieu à son avenir militaire. La jeune femme a vécu cette trahison du système, cet abandon de la part de ses patrons et de ses pairs, encore plus douloureusement que l’agression elle-même, confiait-elle dans notre reportage.
Le procès se déroule au manège militaire de St-Malo, à Québec, où une salle de classe aux murs turquoise tient lieu de salle d’audience. L’armée a la mainmise sur l’entièreté des procédures. La justice militaire a toujours autorité lorsqu’un incident de ce type implique deux militaires sur le territoire de la Défense. Les deux procureurs, l’avocat de la défense et le juge sont donc des officiers des Forces canadiennes. Les jurés aussi portent l’uniforme. L’accusé a choisi de subir son procès devant ce qu’on appelle un « comité », qui est toujours composé de cinq hauts gradés choisis au hasard — dans ce cas-ci, tous des hommes.
Le procès d’André Gagnon représente un test pour l’armée canadienne, au moment où la rigueur et l’indépendance de son appareil judiciaire sont mises en doute par plusieurs observateurs. Selon un nombre croissant d’experts, l’intérêt des victimes serait mieux servi si les affaires d’agressions sexuelles étaient entendues devant la justice civile, à l’abri des connivences et du pouvoir militaires — comme c’est le cas dans de nombreux pays sur la planète, et comme c’était le cas au Canada jusqu’en 1998.
Marco Morin, un avocat de Victoriaville et lieutenant-colonel à la retraite, a souvent plaidé en cour martiale, lui qui a exercé le droit dans les Forces pendant une vingtaine d’années, dans les années 1990 et 2000. « Ce système de justice n’en est pas un, dit-il. La cour martiale est excellente pour rendre une justice expéditive dans des cas d’infractions à caractère purement militaire. Mais dans des causes d’agressions sexuelles, elle n’a pas les mêmes outils que les tribunaux civils pour apprécier la gravité de la situation et rendre des ordonnances appropriées. Pourquoi donner cette juridiction à la cour martiale? Les agressions sexuelles sont des crimes contre la personne qui dépassent toujours l’intérêt des Forces canadiennes à maintenir la discipline interne. »
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