Pour la première fois de son histoire, la Cour suprême du Canada doit déterminer l’admissibilité de la nomination d’un de ses membres, celle du juge Marc Nadon. La cause était entendue hier, mais la décision devra attendre, les juges ayant pris l’affaire en délibéré.
On comprend qu’ils veuillent prendre leur temps, malgré le fait qu’ils doivent entre-temps se passer des services du juge Nadon.
L’affaire est un véritable piège pour la plus haute cour du pays. Un piège que lui a tendu le gouvernement Harper.
Peu importe sa décision, la cour se retrouvera malgré elle en terrain politique et courra le risque de voir sa légitimité et sa crédibilité mises en doute. Si elle rejette les arguments du gouvernement, elle lui fera perdre la face et accentuera la tension qui existe déjà entre ce gouvernement et la magistrature.
Si, en revanche, la nomination du juge Nadon va de l’avant, le gouvernement Harper aura les coudées franches. Il aura imposé son interprétation des critères de sélection des juges, ouvrant la voie à une marge de manœuvre encore plus grande du premier ministre en la matière.
Il aura aussi réussi à imposer un candidat jugé inadéquat par à peu près tout le monde, mais qui a l’avantage d’être en accord avec la philosophie des conservateurs en matière d’activisme judiciaire.
Un des avocats qui plaidaient hier devant la cour, Me André Fauteux, du Québec, a affirmé qu’ils n’étaient pas là pour juger des mérites du juge Nadon. C’est vrai en théorie, mais faute d’autres moyens, beaucoup espèrent que le gouvernement perde pour bloquer du même coup cette nomination controversée. Pour diverses raisons.
Personne n’avait prévu le choix de cet obscure magistrat qui siégeait depuis 20 ans aux Cours fédérale et d’appel et qui avait décidé d’être juge à temps partiel (l’équivalent d’une préretraite). Le juge Nadon n’a jamais retenu l’attention, sauf lorsqu’il a été le seul à se ranger derrière le gouvernement Harper dans le dossier d’Omar Khadr.
Le gouvernement savait que son choix ne ferait pas l’unanimité, d’autant plus que plusieurs autres juges de haut calibre, dont plusieurs femmes, étaient sur les rangs. Le gouvernement savait aussi qu’il s’aventurait en terrain glissant en choisissant un juge de la Cour fédérale pour occuper un des trois sièges réservés au Québec.
Selon la Loi sur la Cour suprême, les juges québécois doivent être, au moment de leur nomination, juge de la Cour supérieure ou d’appel du Québec, ou encore être membre du Barreau du Québec depuis 10 ans. L’idée derrière ces critères est d’assurer une connaissance de la culture juridique québécoise, qui est différente de celle du reste du pays.
Le gouvernement fédéral argue de son côté qu’un juge québécois de la Cour fédérale peut être nommé à ce poste car il n’est pas étranger à la culture juridique de sa province. De toute façon, s’il a déjà été membre du Barreau du Québec pendant au moins 10 ans, il est adimissible. Mais les conservateurs savaient qu’ils étiraient l’interprétation de cette disposition puisqu’ils ont cru nécessaire, en octobre dernier, d’accompagner l’annonce de la nomination du juge Nadon d’un avis juridique d’un ancien juge de la Cour suprême.
Devant le tollé, le gouvernement s’est empressé d’amender la Loi sur la Cour suprême pour la faire coïncider avec son interprétation.
Il a ainsi inséré dans son projet de loi budgétaire omnibus — oui, oui, le projet de loi budgétaire — des amendements pour préciser qu’un avocat ayant déjà été membre pendant 10 ans du Barreau de sa province pouvait être choisi pour siéger à la plus haute cour du pays. Marc Nadon a été membre du Barreau québécois pendant environ 20 ans avant d’accéder à la Cour fédérale.
Un avocat torontois, Rocco Galati, ne l’entendait pas ainsi et a contesté la nomination du juge devant un tribunal ontarien. Le Québec a protesté à son tour, estimant que les candidats devaient avoir un lien tangible et contemporain avec le système juridique québécois.
Le gouvernement fédéral a réagi en s’adressant directement à la Cour suprême au moyen d’un renvoi. On en est là et en attendant la décision, le juge Nadon récolte son salaire, mais se tient à l’écart.
Hier, le débat juridique portait sur le sens et les origines des dispositions accordant trois juges au Québec, sur le caractère quasi constitutionnel de la Loi sur la Cour suprême et sur le pouvoir qu’a ou pas le gouvernement fédéral de modifier unilatéralement cette loi — en particulier les critères de sélection des juges occupant les trois sièges réservés au Québec.
Ottawa estime, évidemment, avoir le pouvoir de «préciser» ces critères alors que le Québec, l’Ontario et Me Galati affirment que l’assentiment des provinces est nécessaire, en particulier celui du Québec.
(Vous trouverez un résumé de la journée d’audience ici.)
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