L’Université York fait les manchettes depuis une semaine avec l’histoire de cet étudiant qui a demandé d’être exempté d’un travail de groupe parce qu’il aurait à interagir avec des femmes — demande à laquelle l’université a eu la mauvaise idée d’accéder. (Dans les faits, le professeur a ignoré l’avis de l’université et refusé la demande de l’étudiant, mais c’est une autre histoire. L’université, elle, maintient sa décision.)
La demande de l’étudiant était déraisonnable et la réponse de York a soulevé un tollé général. À tel point que tous les partis politiques fédéraux — conservateurs, libéraux et néodémocrates, croque-mitaines unis contre la Charte péquiste et épouvantables porte-étendards du multiculturalisme islamisant — ont dénoncé la décision de l’université.
Cette décision est effectivement erronée, pour deux raisons.
D’abord, sur le plan des principes, parce qu’elle accorde trop d’importance à certaines prescriptions religieuses, à l’encontre de la norme occidentale d’une société où hommes et femmes peuvent travailler ensemble et occuper les mêmes espaces publics jusqu’à preuve du contraire.
Quand il s’agit d’examens médicaux, voire de baignade, l’argument de pudeur peut certainement justifier des accommodements. Mais quand il s’agit de participer à un exercice de groupe, dans une institution publique mixte, tout habillé et à la distance voulue de l’autre sexe, cette ségrégation n’a pas à être sanctionnée par l’État. Le critère de raisonnabilité ne semble pas satisfait.
Au plan plus politique, la décision de l’Université York est problématique dans la mesure où, en étirant à ce point la notion de raisonnabilité, elle accrédite involontairement les thèses rigides des opposants à toute forme d’accommodement.
Bien que motivée par un désir évident d’ouverture et d’inclusivité, cette décision aberrante fait le jeu des chantres de l’intolérance, qui l’invoquent pour fouetter leur base et attaquer les notions mêmes d’accommodements et de liberté religieuse.
À la manière des climatosceptiques qui pointent une tempête de neige pour réfuter le réchauffement de la planète, certains commentateurs favorables à la Charte des valeurs ont brandi l’incident exceptionnel de York pour jeter le bébé avec l’eau du bain, justifier leur hostilité envers les accommodements et insister sur l’importance des «balises claires» (qui, dans les faits, remplaceraient le critère souple et ouvert de raisonnabilité par des restrictions rigides et uniformes).
Or, le principe des accommodements raisonnables, bien compris et correctement appliqué, demeure le seul qui soit compatible avec les démocraties libérales contemporaines.
Dans son essence même, cette règle stipule que certains accommodements seront jugés raisonnables — et que d’autres ne le seront pas. La kippa ou le hidjab d’un(e) fonctionnaire ne dérange personne et il est parfaitement raisonnable de les tolérer.
Par contre la demande hypothétique d’un conducteur de métro d’arrêter son train cinq fois par jour pour prier serait déraisonnable et devrait être refusée.
Le principe — souhaitable — des accommodements raisonnables est en effet menacé tant par l’ouverture déraisonnable que par la fermeture déraisonnable : l’accommodement universel au nom d’une tolérance déboussolée viole autant la norme de raisonnabilité que le refus de tout accommodement au nom du malaise et des préjugés de la majorité traditionnelle.
Depuis des mois, le projet de Charte des valeurs du PQ offre le spectacle d’une dérive politique vers le nationalisme ethnique, l’intolérance et la démagogie. Malheureusement, la décision malavisée de l’Université York, inspirée par un désir d’inclusion et assurément bien intentionnée, risque fort d’alimenter le même esprit rétrograde qui a donné naissance à la Charte.
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