Le Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole, signé la semaine dernière par 11 personnalités, ne passera certainement pas à l’histoire comme une avancée significative dans le débat sur l’exploitation du pétrole du Québec.
Les signataires justifient leur position par la nécessité pour le Québec de réfléchir sérieusement à la question, compte tenu de ce que les importations de pétrole coûtent à la province. On peut y lire que :
Le débat doit avoir lieu ! Mais il doit se faire correctement et surtout, nous aurons tous avantage à ce qu’il repose sur des faits.
Faux. Nous avons tous avantage à ce que le débat repose sur «les» faits, pas «des» faits astucieusement choisis pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Le poids des importations de pétrole sur les finances du Québec est un fait indéniable. L’augmentation actuelle de la consommation de pétrole aussi.
Mais l’idée qu’exploiter le pétrole va être grandement profitable aux finances publiques est une simple supposition basée sur l’idée que le Québec disposerait de ressources pétrolières considérables, ce qui est loin d’être démontré.
Le manifeste repose par ailleurs en grande partie sur des comparaisons boiteuses.
Par exemple, les signataires expliquent que :
Cependant, nous savons fort bien que d’autres endroits dans le monde se sont enrichis significativement grâce à des projets similaires.
Par exemple, en Ohio, pour une formation géologique similaire à celle de l’île d’Anticosti, les shales d’Utica, les autorités ont estimé que le nombre d’emplois directs et indirects générés par l’exploitation de ce site serait de plus de 200 000. L’industrie s’attend à verser près de 12 milliards de dollars en salaires, durant une période de cinq ans.
D’abord, même si la formation géologique est de même nature, on ne peut vraiment pas considérer que le golfe du Saint-Laurent et l’Ohio sont dans des situations similaires !
Le premier est un milieu marin fragile, tandis que le second est un territoire déjà largement industrialisé, où 220 000 puits de pétrole et de gaz ont déjà été creusés depuis les années 1860 — dont 60 000 sont encore en opération, selon les autorités (soit le Département des ressources naturelles de l’Ohio, qui est responsable de l’attribution des permis).
En lisant la note de bas de page du manifeste, on s’aperçoit en outre que «les autorités» qui ont estimé le nombre d’emplois en Ohio sont en fait trois consultants qui ont publié une analyse d’impact économique pour le compte du Ohio Oil and Gas Energy Education Program, financé exclusivement par les producteurs pétroliers et gaziers de cet État.
Je ne vois aucune raison de faire confiance à ces chiffres.
Je vous invite d’ailleurs à lire l’étude Exaggerating the Employment Impacts of Shale Drilling: How and Why, publiée en novembre dernier par un groupe environnemental appuyé par des chercheurs de plusieurs universités, qui estime que l’exploitation engendre 4 emplois par puits creusé, alors que l’industrie en annonce 31. Au moins aussi fiable que l’étude de l’industrie.
Pour un manifeste basé sur des faits, on repassera.
Les signataires vantent par ailleurs les pêcheries et l’aquaculture norvégienne pour nous convaincre que le Québec pourrait imiter la Norvège en exploitant son pétrole tout en protégeant ses ressources marines.
La valeur de la pêche et de l’aquaculture a représenté 9,2 milliards de dollars en 2011 en Norvège, soit 60 fois plus qu’au Québec.
Fait : la Norvège exploite du pétrole conventionnel avec des technologies éprouvées depuis des décennies, fort différentes dans leurs effets sur l’environnement de la fracturation hydraulique qui serait nécessaire pour aller chercher le pétrole non conventionnel québécois. À ce petit jeu-là de comparaisons boiteuses, on pourrait tout aussi bien confronter Anticosti à l’Alberta !
Autre fait : le littoral norvégien compte une multitudes de criques et baies protégées baignées par le Gulf Stream, où les conditions très stables sont infiniment plus propices à l’aquaculture que les côtes du Québec. La Norvège a massivement investi dans le développement de l’aquaculture depuis les années 1970. Quand je vous dis qu’on compare des pommes avec des poires…
Clairement pas la bonne manière d’engager le débat.
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