TORONTO – Plus de 10 mois de témoignages autour de la mort par strangulation — filmée — d’une jeune femme en cellule d’isolement ont fait bien peu pour ébranler les certitudes de la mère d’Ashley Smith: le système carcéral canadien a terriblement maltraité sa fille.
S’exprimant après la fin des plaidoiries dans le cadre de l’enquête du coroner sur l’affaire, Coralee Smith a déclaré jeudi qu’il serait irresponsable de blâmer sa fille pour cette tragédie. «Je continue de croire qu’il s’agit d’une situation horrible», a-t-elle dit à l’extérieur du tribunal.
«Je crois qu’Ashley a été torturée. Les choses n’ont pas vraiment changé pour moi — je le dis en tant que mère.»
À la suite des travaux du coroner, le Dr John Carlisle, les cinq femmes sélectionnées pour former le jury devront parvenir à un verdict pour expliquer «de quelle façon» Ashley Smith, une Néo-Brunswickoise de 19 ans, a trouvé la mort dans le pénitencier fédéral de Grand Valley, à Kitchener, en Ontario.
L’avocate Jocelyne Speyer, qui conseille le coroner, a pressé les jurés de parvenir à un verdict de cause «indéterminée», qu’elle considère comme approprié.
Les preuves quant à savoir si la jeune femme, aux prises avec de graves problèmes de santé, désirait se suicider en s’attachant une corde autour du cou — comme elle l’avait fait à plusieurs reprises par le passé — n’étaient tout simplement pas suffisamment claires, a plaidé la procureure Speyer.
Certains des 83 témoins, qui ont comparu sur plus de 107 jours à partir du 14 janvier dernier, ont indiqué que la jeune femme parlait en termes positifs de son avenir et de son retour auprès de sa mère.
D’autres ont plutôt mentionné qu’elle devenait de plus en plus triste à l’idée de ne jamais sortir de prison, soulignant que sa peine avait débuté avec quelques semaines d’emprisonnement pour avoir lancé des pommes à un travailleur des postes, mais qu’elle avait fini par atteindre 2239 journées cumulatives lorsqu’elle a trouvé la mort le 19 octobre 2007, en grande partie pour des gestes posés derrière les barreaux.
De la même façon, poursuit Me Speyer, il est impossible de classer clairement son décès dans la catégorie des actes accidentels.
L’avocate a cependant spécifiquement demandé au jury de ne pas conclure à un homicide — un verdict neutre, non criminel, indiquant qu’une personne avait significativement contribué à sa mort.
Un homicide ?
Plusieurs parties, dont la famille de la victime, ont réclamé ce verdict d’homicide, en se basant sur le fait que la directrice de la prison, Cindy Berry, avait ordonné aux agents correctionnels de demeurer à l’extérieur de la cellule de la détenue tant et aussi longtemps qu’elle continuait de respirer.
Ces intervenants plaident que cette directive — combinée à la menace de mesures disciplinaires, voire même de sanctions criminelles — avait poussé les agents à retarder leur entrée dans la cellule pour lui sauver la vie.
Au dire de l’avocate, il est toutefois impossible de démêler tous les aspects «complexes» qui relient Ashley Smith et Service correctionnel Canada.
«Pouvez-vous affirmer avec confiance que n’eût été de la directive, Ashley ne serait pas morte?», a demandé Me Speyer. «Des choses terribles se produisent souvent pour plus d’une raison.»
Quant à Mme Berry, elle nie avoir interdit aux gardiens d’entrer dans la cellule, contrairement à ce qu’ont déclaré plusieurs témoins. Son avocat, James Cameron, a lui aussi appelé à ne pas rendre de verdict d’homicide. «Les suicides et les homicides sont rares; les accidents se produisent régulièrement», a-t-il dit.
Mme Berry, a-t-il souligné, n’avait pas d’expérience avec les femmes détenues lorsqu’elle est arrivée en août 2007 à la prison de Grand Valley, un pénitencier déjà «fragile».
Le coroner est même allé jusqu’à annuler les déclarations de deux avocats qui ont souligné aux jurés que le public pourrait à tort interpréter un verdict d’homicide comme la suggestion d’un blâme criminel, ou que les gardiens et d’autres personnes pourraient subir les conséquences d’une telle constatation.
Le juge Carlisle a expressément demandé aux jurés d’ignorer ces arguments.
Nancy Noble, parlant au nom de Service correctionnel Canada, a pour sa part qualifié la tragédie comme le résultat d’une addition d’événements isolés, mais a insisté sur le fait que des améliorations avaient été apportées depuis la mort de la jeune Ashley Smith.
Les autorités carcérales n’avaient jamais rencontré personne comme la jeune femme, mais ont assuré que tous prenaient soin d’elle. «Personne ne voulait qu’elle meure», a ajouté Mme Noble. «Peut-être qu’Ashley Smith ne voulait pas se suicider. Peut-être s’agit-il d’un accident.»
Si toute cette affaire démontre le besoin «clair et urgent» de changements, Me Speyer a pressé les jurées de présenter des recommandations concrètes qui auraient des résultats mesurables, et non pas d’empirer les choses involontairement.
«La voix d’Ashley a été entendue», a poursuivi l’avocate, les larmes aux yeux. «J’espère que votre voix sera forte. J’espère que vous serez entendues.»
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