Étienne, Olivier, Romain et Vincent, alias Garbage Beauty, fouillent dans les poubelles, littéralement. Copains de longue date, fervents de calligraphie, ces performeurs de rue font parler les rebuts. Sur un sèche-linge, par exemple, ils écrivent : « Sèche tes larmes, c’est le cycle de la vie » ; sur un écran de télé : « Jamais suivre le programme. »
Les assauts calligraphiques du quatuor ont commencé dans le Plateau-Mont-Royal et la Petite-Italie avant de se déplacer vers le quartier Hochelaga-Maisonneuve, où trois des gars habitent.
Ils ont de ces mots pour parler de leur passion : ductus, panse, onciale, ascendante, descendante… Virtuoses dévoués à leur pratique, affinant leurs techniques, ils inventent de nouveaux alphabets. À l’instar de nombreux artistes de rue, ils préfèrent garder l’anonymat : pas de patronyme, pas de photo d’eux, sinon brouillée, et une seule voix, celle du collectif.
Quatre francophones, un nom anglais. Pourquoi?
On est de notre époque, on pense international. Garbage Beauty, ça sonne mieux que Belles poubelles et se prête mieux à la calligraphie.
À l’ère du numérique, n’est-ce pas anachronique de se dévouer à la calligraphie ?
Nous sommes quatre designers graphiques. La typographie est centrale dans notre métier. Le jour où l’on a découvert dans un magazine russe le travail du calligraphe italien Luca Barcellona, on a décidé de s’y mettre, de suivre des cours. Depuis, on se fait des soirées où l’on ne parle que de caractères, de forme et de graisse de lettres !
La calligraphie exige patience et concentration. En action sur le trottoir ou dans une ruelle, vous arrive-t-il que les passants vous dérangent ?
Ceux qui ont jeté la tête de lit, la télé ou le frigo sur lequel on est en train de s’exécuter nous apostrophent parfois : « Pourquoi vous faites ça ? Il y a du monde qui l’aurait ramassé si vous ne l’aviez pas barbouillé. » On leur répond : « Il y a peut-être des gens qui vont le ramasser justement parce qu’on l’a enjolivé. » Étonnant de constater à quel point les gens sont attachés à leurs poubelles !
Contrairement aux tagueurs et graffiteurs, on ne peut vous accuser d’atteinte au mobilier urbain. Si ?
Il existerait une loi qui stipule que chacun reste propriétaire de ses ordures tant et aussi longtemps que les camions ne les ont pas chargées. En théorie, on n’aurait pas le droit de modifier, même si c’est pour les embellir, les déchets des autres.
Quel est votre objectif artistique : dénoncer la surconsommation, nous rappeler qu’on jette nos choux gras ?
Il y a de cela. Mais comme artisans de la lettre, notre objectif principal consiste à avoir du plaisir à écrire à la main un message et qu’il soit lu. Par exemple, dans Hochelaga-Maisonneuve, on aime bien « faire » la rue Joliette, car elle converge vers le métro et nous assure un bon flot de passants.
Vos messages restent ludiques. Pourquoi ne pas en profiter pour exprimer une opinion politique, du moins citoyenne ?
On veut rassembler les gens plutôt que de les choquer avec des thèmes qui divisent. On en a marre des leçons de morale données par ceux qui, très souvent, ne sont même pas habilités à le faire. On veut apporter du bonheur aux passants, les extraire de leur quotidien.
On souligne souvent votre mésentente avec l’orthographe. Une faute gâche un peu l’art noble que vous pratiquez, non ?
Parfois, on se sent tel un roi portant des running shoes. Comme bien des gens de notre génération, on fait des fautes d’orthographe. C’est moche, on ne s’en vante pas. Mais on s’est drôlement améliorés.
N’est-ce pas frustrant de voir la majorité de vos pièces emportées par les éboueurs ?
Si, au passage, on peut les faire sourire, c’est ça de pris. On est conscients de signer de l’art éphémère, même si de plus en plus d’amateurs reconnaissent la griffe Garbage Beauty et récupèrent les objets qu’on a calligraphiés.
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