Au lendemain des élections municipales, plusieurs se désolent du faible taux de participation électorale : 43 % à Montréal et 53 % à Québec, notamment. Certains voient dans ces chiffres le signe d’une démocratie malade, du décrochage des électeurs ou du cynisme ambiant. De tels taux de participation seraient ainsi le symptôme d’un profond mal social.
Peut-être. Certaines réformes démocratiques seraient certainement les bienvenues. Le cynisme est certainement élevé. Et plusieurs électeurs « décrochent » certainement de leur devoir démocratique idéal — s’informer, réfléchir, discuter, exercer leur droit de vote.
Il faut toutefois replacer ces chiffres dans leur contexte.
Lors de la dernière élection provinciale, tenue il y a exactement 14 mois, le taux de participation a été de 74,6 % à l’échelle du Québec. Les mêmes électeurs ont donc été beaucoup plus nombreux à se déplacer pour les élections provinciales de l’an dernier que pour les municipales de dimanche.
Notre démocratie a-t-elle été frappée d’un mal soudain au cours de la dernière année ? Le cynisme politique a-t-il augmenté considérablement en 14 mois ? Des milliers d’électeurs encore préoccupés de démocratie en septembre 2012 ont-il abdiqué entre cette date et l’élection de dimanche ? Probablement pas.
Certes, la commission Charbonneau a dégoûté beaucoup de citoyens au cours de la dernière année — surtout à Montréal —, mais si elle a eu des répercussions sur le taux de participation, elles ont probablement été positives. À 43 %, le taux de participation à l’élection montréalaise est 10 % supérieur à celui de 2009 (39 %), et 23 % supérieur à celui de 2005 (35 %). La tendance est bonne.
Par ailleurs, quand on se compare, on se console. Le taux de participation à l’élection municipale de 2010 à Toronto a été de 53 % — un bon score, peut-être attribuable à la grève des cols bleus de Toronto de 2009 —, mais les taux de participation étaient de 39 % en 2006 et de 38 % en 2003, très comparables à ceux de Montréal. Quant à la dernière élection à la mairie de New York, en 2009, le taux de participation a été de… 18,4 %.
Au niveau fédéral, le taux de participation électorale oscille autour de 60 % depuis l’an 2000, ce qui est supérieur à ce qu’on observe pour les élections fédérales américaines pour les mêmes années. Quant aux élections provinciales tenues au Québec depuis l’an 2000, le taux de participation moyen est de 68,5 % — soit 12 % plus élevé qu’au fédéral.
Tous ces chiffres se comparent avantageusement à ceux de la Suisse, qu’on présente souvent (et souvent avec raison) comme un modèle de démocratie. Le taux de participation aux élections provinciales québécoises est aussi plus élevé que celui des législatives en France (le taux de participation est plus fort pour les présidentielles).
Deux derniers chiffres. Lors du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, le taux de participation a été astronomique : 93,5 % (encore plus élevé qu’en 1980). Quant aux élections scolaires de 2007, le taux de participation a été misérable : 7,9 %.
Que retenir de tout cela ? Plusieurs choses sans doute, mais probablement que les électeurs sont davantage motivés par les grandes et graves questions que par les petites et insignifiantes.
Le référendum de 1995 demandait aux électeurs de choisir si, oui ou non, ils voulaient changer de pays. L’enjeu était énorme, facile à comprendre, et connu de tous. Tout le monde est allé voter. Les élections scolaires de 2007 demandaient aux électeurs de choisir parmi plusieurs candidats inconnus, aux programmes obscurs, et à l’impact incertain. Personne n’est allé voter.
Autrement dit, plus les enjeux sont clairs, connus et significatifs, plus les gens votent. Plus les enjeux sont techniques, inconnus ou insignifiants, plus les gens s’abstiennent.
Vous voulez obtenir un taux de participation électorale de 100 % demain matin ? Tenez un référendum qui demande aux citoyens si, oui ou non, tous les Québécois de 18 à 60 ans devraient aller se battre et mourir au front en Afghanistan. Vous voulez un taux de participation de 0 % ? Organisez une élection à 23 candidats anonymes pour le poste de contrôleur comptable de la petite caisse des travailleurs temporaires de la Baie-James.
Que signifie un taux de participation de 43 % à Montréal, dans ce contexte ?
Que les Montréalais considèrent aujourd’hui les enjeux municipaux comme plus importants qu’en 2005 et 2009. Qu’ils demeurent davantage motivés et intéressés par la politique provinciale que municipale — ce qui n’est pas nécessairement choquant, considérant entre autres le manque d’autonomie de Montréal. Que le Montréalais moyen considère que l’impact et l’importance d’une élection municipale se trouvent quelque part entre ceux d’une élection scolaire et d’un référendum. Ou, peut-être, que 57 % des Montréalais pouvaient s’accommoder de n’importe quel des principaux candidats comme maire. On peut déplorer cette indifférence, mais ce n’est pas nécessairement un drame.
Comme tous les observateurs attentifs de la politique, j’aimerais voir des taux de participation de 100 % à chaque élection, ne serait-ce que pour le principe. J’appuie sans réserve toutes les mesures qui peuvent contribuer à accroître la participation électorale (il existe des études très savantes sur le sujet). Et je comprends qu’après tous les scandales découverts à Montréal ces dernières années, on aurait pu s’attendre à une plus forte participation.
Cela dit, en temps de paix et de prospérité relatives, sans enjeu catastrophique en vue, je ne m’étonne pas de voir ramollir les taux de participation électorale. Beaucoup d’observateurs (et au moins un candidat) ont déploré le peu de contenu présenté lors de la dernière campagne municipale, ce qui n’aide probablement pas à susciter l’enthousiasme populaire. Quand l’heure sera grave, les questions claires et les conséquences dramatiques, j’ai bon espoir que les électeurs retourneront en masse dans les isoloirs.
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