Les sénateurs Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau n’ont rien fait pour attirer la sympathie des Canadiens. Ils ont pigé allègrement dans le buffet des fonds publics, grâce à des règles particulièrement floues du Sénat. (Le comité de la régie interne du Sénat doit d’ailleurs partager une part du blâme dans cette affaire.)
Ils se battent aujourd’hui pour ne pas être suspendus sans salaire du Sénat jusqu’aux prochaines élections, dans deux ans. Stephen Harper souhaite les écarter le plus loin possible de la scène, ayant nommé les trois au Sénat. Gênant. Il veut donc mettre ce scandale derrière lui au plus vite.
Mais en les poussant dans leurs derniers retranchements, il a fait réagir les bêtes blessées. Wallin, Brazeau et Duffy ne veulent pas mourir seuls dans leur coin. Ils répliquent.
La plus cinglante vient certainement de Mike Duffy, ancienne vedette du journalisme télé, que les conservateurs utilisaient avec joie comme orateur vedette dans leurs activités de financement lorsqu’il a été nommé à la Chambre haute.
Ses révélations depuis une semaine, qu’elles soient vraies ou partiellement vraies, font mal au premier ministre et à son entourage.
D’un scandale des dépenses au Sénat, on est passé à un scandale de gestion au bureau du premier ministre Harper.
En voulant éloigner les sénateurs gênants avec sa motion de suspension, il a finalement ramené les réflecteurs vers lui.
Et maintenant, on ne sait plus qui ment pour s’en sortir.
…
Voici trois raisons qui font en sorte que ce scandale fait mal au gouvernement Harper:
(1) La base militante du Parti conservateur est en colère. Elle était déjà mécontente que la réforme du Sénat promise par Harper piétine. Voir certains des sénateurs-vedettes du PC épinglés pour une mauvaise gestion des fonds publics a été une insulte au sein d’un parti qui a fait de la «loi et l’ordre» l’un de ses créneaux dominants.
L’injure a été ajoutée à l’insulte aujourd’hui, alors que Mike Duffy a affirmé que le chèque de 90 000 $ signé par Nigel Wright — l’ancien chef de cabinet de Harper — pour l’aider à rembourser ses réclamations illégitimes n’était pas le seul. L’avocat du Parti conservateur, Arthur Hamilton, aurait fait un chèque de 13 560 $ pour aider Duffy à couvrir ses frais juridiques dans cette saga.
Mike Duffy a dit croire que cet argent provient du parti — donc, en bout de piste, des membres conservateurs qui ont donné à leur formation. Une formation en laquelle ils croient. Et en laquelle ils ont placé leur confiance.
Ils ont donné pour la cause, et se retrouvent par la bande à financer les agissements douteux d’un sénateur non élu…
Avec le congrès du Parti conservateur qui commence vendredi à Calgary, le moment ne pouvait pas plus mal tomber pour Harper.
Il le sait. C’est pourquoi le premier ministre a fait trois entrevues à la radio depuis vendredi dernier, pour tenter de calmer le jeu. L’homme n’aime pas les entrevues. La dernière fois qu’il a fait une offensive média de cette ampleur (outre les campagnes électorales), c’était en décembre 2008, lors de la crise parlementaire qui menaçait la survie de son gouvernement.
C’est dire si ça chauffe.
(2) Les sorties de Duffy, Wallin et Brazeau ont touché une corde sensible au sein même du caucus conservateur. Plusieurs sénateurs (Hugh Segal, Donald Plett) et députés (Peter Goldering, Peter Kent…) s’opposent à la motion de suspension des sénateurs, même si ces derniers ne sont plus membres du caucus.
Ils jugent que cette volonté de les suspendre sans salaire va trop loin et brime l’indépendance du Sénat, car aucune accusation de la police n’a été déposée, et que les trois sénateurs siègent maintenant comme indépendants. Harper utilise donc sa majorité au Sénat pour punir trois sénateurs indépendants. Aussi populaire cette volonté puisse-t-elle être dans l’opinion publique (je répète que les trois ne méritent pas beaucoup de sympathie), elle pourrait devenir un dangereux précédent, disent ces députés et sénateurs. Qui sait si l’arbitraire pour suspendre des sénateurs (qui votent des lois, rappelons-le) ne sera pas le nouvelle norme, peu importe le parti au pouvoir?
Qu’on aime ou non la décision de Harper de sanctionner les trois sénateurs, le fait que certains de ses députés ou sénateurs attaquent la position du premier ministre nuit à son autorité, ainsi qu’à son image de leader fort et stratégique.
Les tirs amis font toujours plus mal que les tirs ennemis.
(3) La controverse touche directement le bureau du premier ministre et sa gestion interne des affaires de l’État. Qui savait quoi? Qui a tenté de camoufler les agissements des sénateurs quand la controverse a éclaté, au printemps dernier? Que savait vraiment le premier ministre, qui dit ne rien vu venir jusqu’à la démission de son chef de cabinet?
Mike Duffy affirme que c’est le bureau du premier ministre qui l’a forcé à rembourser les 90 000 $; que c’est le bureau du PM qui a élaboré la stratégie médiatique, le forçant à mentir au début en disant qu’il avait contracté un prêt de 90 000 $ à la Banque Royale pour rembourser, alors que le chèque provenait en fait de Nigel Wright; que le bureau du PM savait pour les demandes de remboursement et qu’on lui a dit que c’était correct d’agir ainsi… jusqu’à ce que la controverse éclate.
Bref, maintenant, la question est de savoir: qui savait quoi?
En recoupant les histoires de chacun, les textes dans les journaux et les reportages à la télé, on constate que pas moins de 13 personnes dans l’entourage du premier ministre ont été mêlées de près ou de loin à la gestion des dépenses des sénateurs et à la controverse lorsque celle-ci a éclaté.
Mais le premier ministre continue de dire qu’il n’était pas au courant de la stratégie élaborée par son entourage…
Quand la crédibilité du premier ministre commence à s’effriter, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le gouvernement.
…
Stephen Harper avait un plan pour relancer son gouvernement. Il a remanié son conseil des ministres, proposé un nouveau discours du trône, fait atterrir l’accord de libre-échange avec l’Europe et transformé son équipe immédiate et ses conseillers au Québec. J’en parle d’ailleurs dans le nouveau numéro de L’actualité en kiosque présentement. À long terme, sa stratégie pour remettre son gouvernement sur les rails pourrait fonctionner.
Mais le scandale du Sénat se déplace dans son bureau, et il est en train de le tirer vers le fond. Il devra d’abord sortir la tête de l’eau avant de penser relancer sa formation.
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