On peut et on doit prendre conscience de l’immense défi posé à l’économie québécoise par le déficit commercial. On doit en souligner les causes à l’aide d’un diagnostic sans complaisance. Et on doit agir sur tous les fronts et en particulier en avançant vers l’indépendance énergétique. C’est l’essence même de la politique économique du gouvernement Marois.
Le Québec a des moyens d’action importants et il les met en oeuvre. Ces moyens, cependant, demeurent limités. C’est que le Québec n’est pas un pays. Ça peut nous désoler, mais notre État demeure à ce jour une province du Canada.
Pour plusieurs, le Québec devrait cesser de blâmer le gouvernement fédéral et se limiter à régler ses propres problèmes. L’éminent blogueur économique Pierre Duhamel l’exprimait ainsi sur ce site:
«Au Québec, nous avons le bouc-émissaire idéal. Il est responsable de nos difficultés et c’est l’empêcheur de tourner en rond universel. Pourquoi le Québec traîne de la patte dans un domaine? À cause d’Ottawa, bien sûr. Pourquoi ne peut-il pas agir plus efficacement? Le fédéral l’en empêche, évidemment. Quand ça va mal, certains ont toujours le même réflexe: ce n’est jamais de notre faute et toujours celle des autres. Je trouve cela assez lassant comme discours et tellement enfantin.»
M. Duhamel sera heureux du fait que quatre des cinq billets de cette série soient consacrés aux problèmes du Québec et à ce que nous pouvons prendre comme actions pour y remédier. Il me permettra sans doute de passer outre à sa lassitude pour aborder dans ce cinquième billet les obstacles qui nous viennent d’Ottawa. On verse quand même des dizaines de milliards de dollars en taxes et impôts au fédéral, un gouvernement qui prend tous les jours des décisions cruciales en notre nom. Il conviendra avec moi que ce serait faire preuve d’un inexcusable manque de lucidité que d’en ignorer les impacts économiques par lassitude. Ce serait même enfantin, n’est-ce pas?
Le déséquilibre commercial canadien et la monnaie
Les deux plus importantes économies du Canada, celles du Québec et de l’Ontario, sont aux prises avec un déficit commercial international gigantesque de 62 milliards de dollars. Autrefois, un tel déficit commercial aurait pesé lourd à la baisse sur la monnaie canadienne. De sorte que lentement mais sûrement, le coût élevé des importations et le prix compétitif des exportations contribueraient à résorber les déficits commerciaux à l’international.
Comme l’indique le prix Nobel d’économie Paul Krugman dans son blogue (si l’économie vous intéresse), ce qui sauve la Grande-Bretagne depuis la crise de 2008, c’est qu’elle a conservé sa propre devise, qui en se dévaluant a constitué un mécanisme d’ajustement. À l’inverse, la Grèce faisant partie de la zone euro, doit vivre avec une monnaie dont la force n’a aucun rapport avec la faiblesse de son économie.
Au Canada, ce mécanisme d’ajustement ne joue plus, car des forces contraires sont à l’oeuvre et en particulier les cours élevés du pétrole. Pris dans sa globalité, le déficit commercial du Canada à 1,6% du PIB est en effet négligeable. C’est que les provinces pétrolières – Alberta, Saskatchewan et Terre-Neuve – dégagent de leur côté un surplus commercial de 51 milliards de dollars.
Le Québec doit donc vivre lui aussi avec une monnaie décrochée de sa réalité économique. Ce n’est pas la faute du gouvernement fédéral ou de la Banque du Canada. C’est comme ça parce que le Québec est une province du Canada. Les dommages infligés à notre économie sont déjà bien réels, mais imaginons ce qu’il adviendra si le cours du brut devait atteindre 150 ou même 200 dollars le baril. Avec un dollar à 1.20 ou à 1.40. Il y a là un risque économique très important. Pour la province de Québec, c’est le risque fédéral.
Un Québec souverain aura le choix. Peut-être choisirait-il de conserver la monnaie canadienne. Ou peut-être choisirait-il de se doter de sa propre monnaie ou encore d’adopter la monnaie américaine. Tout cela demeure hypothétique à ce stade, mais il y a une certitude: comme province, le Québec n’a pas le choix, tandis que comme pays, il l’aura. Or, il est bien moins risqué d’avoir le choix, n’est-ce pas?
L’innovation, alors?
J’ai mentionné le déficit commercial de 32 milliards de l’Ontario et on pourrait avancer que cette province a le même problème que le Québec. Or, me dira-t-on, l’Ontario ne se plaint pas, elle.
J’espère bien! Car les bénéfices que l’Ontario tire de son appartenance à la fédération canadienne dépassent de loin les désavantages. D’abord, il y a la concentration des services financiers et du transport aérien dont elle bénéficie pour engranger un surplus commercial interprovincial de 24 milliards de dollars.
Il y a ensuite la présence du gouvernement fédéral sur son territoire. Cela signifie des dizaines de milliers d’emplois très bien payés, des achats en biens et services de plusieurs milliards de dollars.
Et puis, il y a la force politique de l’Ontario, où sont situés plus du tiers des sièges du Parlement fédéral. Les élections fédérales se gagnent ou se perdent en Ontario et on a vu en 2011 qu’il était maintenant possible de remporter une majorité sans le Québec. C’est sans doute ce qui explique qu’Ottawa ait accepté de verser plus de 10 milliards à l’industrie de l’auto en 2009. Ou encore les largesses dont a bénéficié cette province à l’occasion du sommet du G-20.
Malgré tous ces avantages, l’Ontario est maintenant un bénéficiaire de la péréquation et elle est aux prises avec un déficit de 9 milliards, le plus élevé au pays.
Les économies des deux plus grandes provinces sont donc aux prises avec un dollar canadien élevé et un déficit de productivité par rapport aux États-Unis. Le salut se trouve en bonne partie dans l’innovation. Les gouvernements de l’Ontario et du Québec ne s’y sont pas trompés et le financement pour la recherche a augmenté. Le ministre Duchesne vient d’ailleurs d’annoncer des investissements records de 3,7 milliards sur 5 ans.
On pourrait croire que pour aider ces deux économies qui comptent pour plus de la moitié du PIB canadien, Ottawa mettrait le paquet pour stimuler la recherche et le développement. C’est tout le contraire. Depuis 2008, les dépenses fédérales pour la recherche scientifique en proportion de ses dépenses de programme ont chuté de 17%.
Pour ce qui est des dépenses en recherche effectuée par le gouvernement fédéral (intra-muros), l’évolution est très inégale. En Ontario, les dépenses d’Ottawa ont beaucoup augmenté, tandis qu’au Québec, elles sont en chute.
Rien pour aider le Québec économique qui se débat avec une monnaie forte. Si la tendance se maintient, en matière d’innovation, le risque fédéral augmente. Tandis que dans un Québec souverain, qui doute du fait que les investissements en recherche et développement seront une grande priorité?
Et la formation de la main-d’oeuvre?
On nous dira que le Québec peut agir au niveau de la formation de la main-d’oeuvre et c’est d’ailleurs ce qu’il fait depuis des années. Dans sa politique économique, le gouvernement Marois rajoute encore plus de moyens et c’est très concret comme le montre cet exemple. Malheureusement, le gouvernement Harper a décidé unilatéralement de saboter les efforts du Québec en imposant son propre programme de formation, pourtant une compétence des provinces. Les patrons, les syndicats et le gouvernement sont tous unis contre la décision fédérale, tout comme l’Ontario. Dans ce domaine névralgique pour l’économie québécoise, Ottawa représente un obstacle indéniable, un risque élevé pour notre avenir économique.
Dans un Québec souverain, quand tous les acteurs seront unanimes comme c’est le cas pour la formation de la main-d’oeuvre, il n’y aura ni chicanes de compétence, ni chevauchements, ni intrusions fédérales. C’est pas mal moins risqué, n’est-ce pas?
Mais il y a l’entreprenariat
Bien sûr. Mais pour démarrer une entreprise et assurer son expansion, ça prend du cash. Le Québec a développé un réseau du capital de risque remarquable, d’ailleurs. Tellement que la moitié du capital de risque investi au Canada dans les 6 premiers mois de 2013 l’a été au Québec. Pendant ce temps-là, que fait le gouvernement fédéral? Il veut détruire les fonds de travailleurs, ce qui va priver des centaines d’entrepreneurs de financement. Au 31 mai dernier, le Fonds de solidarité de la FTQ avait des investissements dans 2 239 entreprises. Et puis, cette épargne québécoise qui est actuellement reversée dans l’économie québécoise sera graduellement redirigée vers la place financière de Toronto, la vraie raison derrière la décision fédérale.
C’est aussi pour renforcer encore davantage Bay Street que le gouvernement fédéral s’acharne à établir une commission canadienne des valeurs mobilières à Toronto.
Extrait d’une chronique de Jean-Philippe Décarie, dans La Presse Affaires:
«Ce n’est malheureusement pas le seul dossier où le ministre Flaherty fait preuve d’un certain acharnementqui va carrément à l’encontre des intérêts économiques du Québec.»
Si la tendance se maintient, le risque fédéral va continuer à s’accroître aussi dans le domaine financier.
Tandis que dans un Québec souverain, nous prendrons évidemment des décisions conformes à nos intérêts économiques. Comme le font tous les pays normaux.
Le risque économique a changé de côté
Pour terrasser le monstre du déficit commercial, le Québec doit agir. J’ai mentionné 10 actions dans lesquelles le gouvernement québécois s’est engagé avec sa nouvelle politique économique. J’ai parlé de l’indépendance énergétique, une approche stratégique.
Mais le geste le plus important que nous puissions poser comme nation pour assurer notre prospérité, c’est d’éliminer le risque fédéral en prenant notre destinée en main.
Pendant des décennies, de Bourassa à Charest, les fédéralistes ont présenté la souveraineté comme un risque économique. On nous parlait de l’incertitude, du «trou noir». Aujourd’hui, on voit bien que le risque a changé de côté.
La souveraineté, c’est l’assurance que les décisions économique du gouvernement seront prises en fonction des intérêts du Québec. Ce qui est risqué pour notre avenir économique, c’est de demeurer une province canadienne.
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