La chambre du Sénat est imposante de décorum, mais à certains moments, cet après-midi, on avait l’impression d’assister à la lecture ,non pas d’un discours du Trône, mais à une sorte de grande publicité à la gloire du gouvernement. Rien de bien nouveau, direz-vous, mais on aurait pu attendre plus de la part d’un gouvernement arrivé à mi-mandat et désireux de préparer la voie vers les prochaines élections.
Ce discours, lu avec application par le gouverneur général David Johnston, n’était pas dénué de nouveautés, mais ces dernières étaient noyées dans l’évocation des faits d’armes du gouvernement et le recyclage d’une foule d’engagements.
Ce n’est donc pas pour rien que le gouvernement a dépêché son ministre de l’Industrie, James Moore, pour qu’il fasse la tournée des plateaux de télévision la fin de semaine dernière. Il fallait s’assurer que les regards se portent sur des éléments plus vendeurs que d’autres: câble à la carte, frais d’itinérance réduits pour les téléphones cellulaires, élargissement des services bancaires de base sans frais, divulgations des frais liés aux modes de paiement, interdiction d’imposer des frais pour des relevés papier. (Il s’agit du même gouvernement qui veut éliminer ses propres chèques papier, au grand dam d’organisations des démunis et des personnes âgées.)
Résultat, on a rarement vu un gouvernement faire autant appel au consommateur en nous plutôt qu’au citoyen. Cette portion du discours du Trône que le gouvernement a tenu à mettre en valeur n’en avait que pour notre petit moi et nos intérêts pécuniaires à très court terme. Une vieille recette, il faut le reconnaître, qui nous a donné des campagnes gagnées à coup de promesses de réduction de deux points de la TPS ou de crédits d’impôt pour les activités sportives des enfants.
On a donc lancé à la volée de jolis os à ronger pour faire oublier que pendant ce temps, des citoyens n’arrivent plus à joindre les deux bouts, certains par la faute de ce même gouvernement.
Des citoyens qui n’ont plus accès à l’assurance-emploi. Des citoyens à revenu modeste qui doivent se préparer, faute de moyens, à attendre deux années de plus pour prendre leur retraite. Des citoyens autochtones qui se débattent toujours avec les pires conditions de vie qu’on puisse imaginer dans ce pays si riche, comme le rappelait le rapporteur spécial des Nations Unies, James Anaya, mardi.
Le gouvernement promet de travailler avec les Premières Nations, y compris en matière d’éducation, mais il a déjà dit qu’il n’augmentera pas son financement avant que la réforme qu’il envisage ne soit devenue réalité. Que le financement per capita offert aux autochtones pour les soins de santé, l’éducation, les services sociaux et les services à l’enfance soit inférieur à celui versé aux Canadiens vivant hors réserve ne l’émeut pas.
Et le reste?
De jolis os à ronger, il n’y a pas à dire, pour détourner l’attention de la lenteur de ce gouvernement à agir dans des dossiers plus graves et/ou plus urgents. Il a mentionné la réforme du Sénat qui devra attendre l’avis de la Cour suprême pour procéder, mais il n’a soufflé mot de la nécessité d’y faire rapidement le ménage.
La loi électorale, un pilier de la protection des droits démocratiques des citoyens, n’a droit qu’à trois lignes alors que la faiblesse des pouvoirs du directeur général des élections (DGÉ) n’ont jamais été aussi évidents depuis ce scandale des appels frauduleux survenus en 2011 et les nombreux accrocs dont sont accusés des conservateurs. La loi sera réformée, promet encore le gouvernement, mais il se limite à dire que ce «sera fait à temps pour que les changements entrent en vigueur avant la prochaine élection fédérale». Le DGÉ Marc Mayrand a pourtant averti qu’il faudrait que les changements entrent en vigueur au printemps 2014 pour qu’il ait le temps pour mettre la mécanique en place.
Et que dire de la sécurité du transport ferroviaire et des matières dangereuses? La tragédie de Lac-Mégantic a donné lieu à une minute de silence et on va continuer à aider la communauté. Mais pour le reste, ne retenez pas votre souffle. Le gouvernement rappelle avoir déjà modifié la Loi sur la sécurité ferroviaire. Il promet d’exiger des entreprises qu’elles contractent des assurances additionnelles. «Des mesures ciblées», dont on ne précise nullement la nature, seront prises «pour rendre le transports des marchandises dangereuses plus sécuritaire». Pas un mot sur les wagons mis en cause, les rails en mauvais état…
Le discours du Trône parle de l’urgence de se doter des infrastructures nécessaires à l’exportation du pétrole, mais il ne dit rien des changements climatiques. Ou presque. Après s’être vanté (?) de sa performance, le gouvernement s’engage simplement à travailler «avec les provinces à réduire les émissions des secteurs pétrolier et gazier, tout en assurant la compétitivité des entreprises canadiennes». Motus et bouche cousue sur les règlements sur les émissions de ces secteurs qu’on attend depuis au moins deux ans.
Ottawa consultera les «parents canadiens» pour améliorer l’information nutritionnelle apparaissant sur les étiquettes des aliments, mais ce gouvernement refuse toujours d’écouter l’avis des experts et de contrôler les gras trans ou d’exiger de l’industrie alimentaire qu’elle réduise la quantité astronomique de sel dans ses préparations.
Le temps des soldes
En braquant les projecteurs sur des problèmes secondaires mais qui font rager à peu près tout le monde, les conservateurs espèrent charmer la classe moyenne que convoitent néo-démocrates et libéraux. Celle où il y a le plus de votes à glaner.
Car ce discours du Trône est aussi cela, un tremplin vers la prochaine élection, une étape dans un long processus de marketing politique destiné, entre autres, à faire oublier un printemps difficile, passé à l’ombre du scandale au Sénat. Ce genre de tactique ne date pas d’hier et n’a pas vu le jour sous les conservateurs, mais ces derniers en maîtrisent l’art plus que personne et ont plus de moyens que quiconque pour la mettre en œuvre.
Le reste du discours, y compris ses quelques nouveautés, sert d’ailleurs cette entreprise de renforcement de l’image de marque du parti centrée sur l’économie, l’emploi et la justice musclée. Et ce n’est pas innocent.
Dans un livre publié cet automne et intitulé «Shopping for votes: How politicians choose us and we choose them», la journaliste Susan Delacourt, du Toronto Star, documente le phénomène, ses origines, son ampleur et ses conséquences. De citoyen nous sommes passés au contribuable et maintenant au consommateur. Les politiques sont réduites à la taille de produits qu’on peut vendre à des clientèles bien ciblées. On les promeut à coup de slogans assez courts pour aboutir sur un pare-choc de voiture. On parle de la marque de commerce libérale, conservatrice, néo-démocrate ou encore de l’image de marque de chaque parti…
Sur la jaquette du livre de Delacourt, deux phrases résument bien l’état des lieux. «Where once politics was seen as a public service, increasingly it’s seen as a business, with citizens as the customers. But its unadvertised products are voter apathy and gutless public policy.» (Traduction libre: Considérée à une époque comme un service public, la politique est de plus en plus vue comme un business et les citoyens, comme des consommateurs. Les effets, qu’on ne publicise pas, sont l’apathie des électeurs et des politiques publiques dépourvues de courage.)
Le discours du Trône illustre parfaitement cette tendance que les succès passés des conservateurs ont le malheur d’encourager. Ne comptez plus sur votre gouvernement pour parler du bien commun, de responsabilité collective et citoyenne. Il ne veut que votre vote pour avoir les coudées franches pour s’occuper du reste. Et de ses intérêts.
P.S. Les conservateurs se donnent le beau rôle face aux câblodistributeurs et fournisseurs de services cellulaires, mais dans les deux cas, ils ne font qu’enfoncer une porte que le CRTC a déjà commencé à enfoncer.
En septembre, le CRTC a envoyé un questionnaire aux opérateurs de réseaux cellulaires pour faire un portrait à jour des frais d’itinérance. De plus, son nouveau Code sur les services sans fil doit entrer en vigueur d’ici la fin de l’année. Les frais d’itinérance seront plafonnés à 100 $, à moins que le client accepte de payer davantage.
En juillet 2012, il a rendu des décisions qui ouvraient la porte à une offre à la carte de certaines chaînes. Des câblodistributeurs ont d’ailleurs déjà commencé à expérimenter avec ce modèle, dont Vidéotron.
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