![Paul Desmarais se prononce devant la commission Kent à Ottawa, en 1981. (Photo: Chuck Mitchell/Presse canadienne)](http://www.lactualite.com/wp-content/uploads/2013/10/05164807-800x682.jpg)
Paul Desmarais se prononce devant la commission Kent à Ottawa, en 1981. (Photo: Chuck Mitchell/Presse canadienne)
Le décès de Paul Desmarais ramène à l’avant-plan les réalisations et le cheminement de ce Franco-Ontarien parti de rien pour bâtir un empire financier. Il y a l’homme d’affaires, plus grand que nature, mais il y a aussi l’homme politique. Celui qui n’a jamais tenté sa chance à des élections, mais qui cultivait le plus imposant réseau du pays auprès des politiciens de toutes les tendances.
Retracer son parcours sans aborder son influence dans ce domaine – son ombre politique – serait escamoter une partie de l’histoire.
Un volet que Paul Desmarais n’aimait pas aborder. Pas plus que ses enfants, d’ailleurs, qui ont pourtant la même passion que lui pour la sphère politique et les affaires publiques.
Dans un texte intitulé «Desmarais et les ficelles du pouvoir», mon collègue Jonathan Trudel raconte comment, au printemps 2012, lui et moi avions cherché à faire une entrevue avec Paul Desmarais. La famille Desmarais a souvent été accusée de «contrôler le Québec», de jouer en coulisses un rôle politique. Des livres ont été écrits sur le sujet. Nous voulions l’aborder, lui poser des questions, savoir ce qu’il en pensait.
On s’est fait dire non pendant des semaines par Edward Johnson, vice-président, qui dirigeait ses relations publiques au sein de Power Corporation.
(Déjà, une première parenthèse politique s’impose: Edward Johnson a quitté Power Corp. en août 2012 et a été l’un des artisans de la campagne au leadership de Justin Trudeau au PLC, qu’il a connu tout petit, lorsque Paul Desmarais fréquentait amicalement son père, Pierre Elliot Trudeau. Ce dernier était assez proche du patriarche financier pour conduire sa Rolls-Royce dans les collines de Charlevoix, comme le racontait Michel Vastel dans un grand portrait saisissant du domaine Sagard, en 1999.)
Bref, devant les refus, Jonathan et moi décidons d’aller poser quelques questions lors de l’assemblée générale des actionnaires de Power Corporation, à l’hôtel Intercontinental, à Montréal.
La salle aux belles boiseries est remplie d’actionnaires qui viennent entendre les fils Desmarais aborder une valse des milliards et des profits. À l’intérieur, l’ambiance est feutrée. Ça discute à voix basse. Quelques rires à droite et à gauche.
Mais dehors, en plein printemps étudiant, une manifestation devant l’hôtel accuse Power Corp., symbole du capitalisme à leurs yeux, d’enrichir le 1 % le plus fortuné de la planète.
Quelques jours avant, un reportage de TVA avait révélé que le président de la Caisse de dépôt et placements du Québec, Michael Sabia, avait séjourné à quelques reprises au domaine Sagard. Le premier ministre Jean Charest avait avoué en avoir fait autant.
Les journalistes économiques présents nous regardaient, Jonathan et moi, d’un œil suspicieux. Lors du point de presse, après quelques questions financières, je plonge.
Voici un extrait de cet échange, avant que les Desmarais et leur équipe de relations publiques ne mettent fin au point de presse:
Alec Castonguay: Il y a eu des controverses récemment sur le fait que le premier ministre et Michael Sabia ont séjourné à votre domaine de Sagard. Qu’est-ce que ça vous fait d’avoir ce type de couverture médiatique? Pourquoi invitez-vous ces personnes à votre domaine?
Paul Desmarais Jr. M. Sabia est un très bon ami depuis 12 ans. Je l’ai invité chez nous comme j’invite d’autres amis à venir chez nous. C’est un plaisir de recevoir nos amis chez nous, comme vous le faites aussi j’imagine.
AC : Il n’y a pas d’objectif d’affaires derrière ces invitations?
Paul Desmarais Jr: On ne parle pas d’affaires nécessairement quand les gens viennent chez nous. On peut s’amuser, avoir un peu de plaisir dans la vie. Moi, quand je vais à la campagne, j’aime passer du temps à faire ce que j’aime faire, pas nécessairement à parler d’affaires, ce qu’on fait d’habitude au bureau.
Jonathan Trudel : Pourquoi les gens ont-ils l’impression que vous tirez les ficelles du pouvoir?
André Desmarais: C’est d’un ridicule, là!
JT : Mais pourquoi ne sortez-vous pas plus souvent sur la place publique?
André Desmarais: Parce qu’on gère nos affaires. On est occupés à essayer de construire une entreprise à travers le monde. Vous avez vu l’envergure de nos affaires? Vous voyez les difficultés qu’il y a partout dans le monde?
Je vous laisse lire la suite dans le texte de Jonathan. Mais on ne parviendra pas à en savoir beaucoup plus à ce moment.
Quelques jours après l’assemblée générale de l’entreprise, le groupe Anonymus met en ligne une vidéo sur Youtube où l’ont peut voir le faste de la réception pour la fête des 80 ans de Jacqueline Desmarais, l’épouse de Paul, le 30 août 2008 à Sagard.
C’est Yannick Nézet-Séguin et son orchestre qui assurent l’ambiance musicale. Marc Hervieux et Robert Charlebois y chantent, et l’auteur-compositeur Luc Plamondon a mis en scène une comédie musicale spéciale pour l’occasion.
Mais ce qui frappe l’imagination, au-delà du gigantisme de l’événement, c’est la forte présence des politiciens. Dont certains sont des adversaires de longue date.
Jean Chrétien (la fille de Jean Chrétien, France, est mariée à André Desmarais), Lucien Bouchard, Brian Mulroney, Jean Charest, George Bush père (ancien président des États-Unis), l’ancienne gouverneure générale Adrienne Clarkson…
Certains proches de Paul Desmarais n’ont pas fait le voyage, mais auraient pu y être: l’ancien président français Nicolas Sarkozy, l’ancien président américain Bill Clinton, le roi d’Espagne Juan Carlos, Bob Rae (son frère, John, est vice-président de Power Corporation), la famille royale d’Angleterre, le cheik d’Arabie Saoudite Yamani…
Nicolas Sarkozy, notamment, a séjourné en 1995 au domaine Sagard, au moment où il remettait sa carrière politique en questions. Paul Desmarais l’encourage alors à se lancer à la tête de la France. Il deviendra président en 2007. Il retournera ensuite régulièrement à Sagard.
Extrait du portrait sur Sagard de Michel Vastel (1999):
Mais lorsque je m’étonne que Lucien Bouchard et son épouse aient été vus à deux reprises chez lui l’année dernière, surtout après tout ce que les deux hommes se sont dit pendant la campagne référendaire d’octobre 1995, Paul Desmarais éclate de rire: «Pourquoi vous étonner? Parce qu’il est séparatiste et que je suis fédéraliste? C’est le pays le plus civilisé, ici!»
Sa motivation en affaires n’était pas sans lien avec sa passion politique. Dans une rare entrevue accordée au journaliste Peter Newman dans les années 1970, voici ce que Paul Desmarais disait:
«Je sens, en tant que Québécois impliqué dans l’économie du pays, que j’ai une responsabilité de réussir. La réussite d’un Canadien français détruirait l’argument séparatiste que réussir au sein du Canada est impossible», a-t-il dit.
À sa mort, Brian Mulroney a fait ressortir ce moteur fédéraliste qui animait Desmarais. Voici ce que l’ancien premier ministre a dit au Globe and Mail:
«Il était un modèle pour beaucoup de jeunes Canadiens français parce qu’il a toujours dit « si je peux le faire, vous pouvez le faire, et à l’intérieur d’un Canada uni», a soutenu M. Mulroney.
Les Desmarais n’ont jamais caché leur ardent côté fédéraliste. Ils sont des donateurs au Parti libéral du Canada, au Parti libéral du Québec et au Parti conservateur. Depuis 1998, les dons au PLQ dépassent les 300 000 $. Ils ont donné aux candidats Philippe Couillard et Raymond Bachand lors de la dernière course au leadership du PLQ (leur favori était Raymond Bachand).
Ils ont donné, en coulisses, des conseils à différents premiers ministres. Ils ont été nommés à des comités pour conseiller les ministres des Finances dans les temps difficiles.
Paul Desmarais a aidé Ottawa à ouvrir ses relations avec la Chine et a donné un coup de main à Robert Bourassa pour lancer les grands barrages de la Baie-James, où il a utilisé ses contacts pour aider le Québec à financer ses projets.
Voici ce que l’ancien sénateur et ex-greffier du Conseil privé (plus haut fonctionnaire à Ottawa) pendant les années Trudeau, Michael Pittfield, avait à dire sur Paul Desmarais (Pittfield a ensuite été employé chez Power Corporation, en 1984):
«La chose la plus facile à laquelle on pense, c’est qu’il avait les politiciens dans sa petite poche, comme s’il était un « master » qui agitait des marionnettes. Mais ce n’est pas le cas. [...] Il est un joueur. Il ne se désengage jamais. Il a amassé une énorme fortune avant l’âge de 35 ans et depuis, il a toujours été actif dans la gouvernance de ce pays. La plupart des gens assument qu’il s’intéresse à la politique pour aider sa fortune personnelle, qu’il tente de contrôler les gens et les événements pour lui-même. Mais en réalité, il est un acteur qui utilise son pouvoir afin d’encourager des politiques qu’il juge désirables sur le fond, pour le bien du pays. La distinction est importante.»
Qu’il le fasse pour lui, pour son entreprise, ou pour ce qu’il juge être «le bien du pays», Paul Desmarais avait une influence politique certaine. Il pouvait passer un coup de fil à un premier ministre ou un ministre sans difficulté. Rares sont les citoyens qui ont cet accès pour se faire entendre et exprimer leur point de vue.
Et fait encore plus rare, il avait cette influence au Canada, en France et aux États-Unis. En plus de ses excellentes connections politiques en Grande-Bretagne et au Moyen-Orient (grâce à ses investissements dans l’industrie pétrolière).
Oui, un homme d’affaires important. Mais aussi une ombre politique immense. Imposante. Influente.
…
La vidéo de plus de deux heures sur la fête des 80 ans de Jacqueline Desmarais, en 2008, à Sagard. Ce document avait été remis à certains invités en guise de souvenir.
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