« Les structures, les moyens et les chefs vont disparaître, pour laisser la place à de nombreux épigones, certes moins talentueux, mais tout aussi enthousiastes, inspirés par la retentissante carrière de leurs ancêtres ». Ainsi se concluait en 2010 mon ouvrage G.I. contre jihad : le mach nul dans lequel j’analysais une décennie de lutte entre Al-Qaïda et les États-Unis. Malgré la prise d’otages sanglante au centre commercial de Westgate et les complots déjoués contre les États-Unis depuis quelques années, il se pourrait bien que cette analyse se confirme. Il ne s’agit bien entendu pas de prophétiser avec aveuglement la fin d’un réseau mais d’observer l’évolution qu’il connaît (ou du moins sa partie visible).
Et qu’observons-nous ? En ce qui concerne « Al-Qaïda central », représentée par feu Ben Laden et depuis mai 2011 par Al-Zawahiri, on observe effectivement un affaiblissement significatif des structures, des moyens et la disparition de chefs. Les attaques de drones ont permis l’élimination des « meilleurs espoirs » du jihad mondial au fur et à mesure de leur ascension, comme le brillant Américano-Yéménite Anwar Al-Awlaqi en septembre 2011. Les branches d’Al-Qaïda (Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al-Qaïda dans la péninsule arabique, Al-Qaïda en Irak) se sont quant à elles greffées à des conflits locaux à base ethno-nationaliste et se sont affiliées des groupes locaux : les Shebaabs somaliens, Boko Haram au Nigéria, etc.
La perspective de voir les jihadistes se greffer sur ces conflits a deux issues : un scénario de « contraction », dans lequel l’agenda internationaliste des jihadistes est noyé dans les revendications et les querelles de pouvoir locales ; un scénario d’« expansion », dans lequel les différents groupes parviennent grâce aux jihadistes à créer un réseau international. Une sorte d’Al-Qaïda qui aurait une vraie base « populaire » dans plusieurs pays. AQPA est le groupe qui s’approche le plus du second scénario : ayant attiré des cadres connaissant bien l’Occident tout en ayant su s’implanter localement, cette branche est aujourd’hui « la plus innovante » du jihad. Elle est à l’origine notamment du magazine Inspire, voué à sortir l’engagement dans le jihad de sa « ringardise », d’en donner une image moins poussiéreuse que celle du combattant arpentant des montagnes ou des déserts oubliés. Elle est également à l’origine des sous-vêtements piégés d’Umar Farouk Abdulmutallab (25 décembre 2009) et du colis piégé dans les cartouches d’imprimante (29 octobre 2010).
Les autres branches d’Al-Qaïda semblent plutôt suivre le premier scénario, celui d’un enlisement dans des conflits régionaux qui finissent par évacuer les velléités d’agir sur d’autres théâtres que les quelques pays impliqués : les couples Afghanistan/Pakistan, Yémen/Arabie saoudite et Irak/Syrie, la région sahélo-saharienne, les pays limitrophes de la Somalie, etc.
C’est l’incapacité à faire cette distinction qui empêche de résoudre la contradiction entre ceux qui estiment qu’Al-Qaïda est en déclin et ceux qui parlent de résurgence du jihadisme. En réalité, l’organisation Al-Qaïda est fortement affaiblie. Ce sont aujourd’hui les branches d’Al-Qaïda, comme AQPA, et ses filiales, comme les militants pakistanais du Lashkar-e-Toiba ou Boko Haram, qui portent le combat. D’où l’importance de savoir si ces groupes ont une trajectoire de contraction ou d’expansion.
Mais en plus de l’alternative contraction/expansion, une autre alternative émerge entre actions de grande envergure (attentats de novembre 2008 à Bombay) et actions de faible envergure (actions individuelles). Cette deuxième alternative fera l’objet d’un prochain billet.
Pierre-Alain Clément
Directeur adjoint de l’Observatoire de géopolitique
Chaire @RDandurand @UQAM
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