Le projet de Charte des valeurs du gouvernement Marois part d’une excellente intention, faire triompher la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais depuis le début de ce vigoureux débat, j’ai le sentiment que quelque chose cloche.
L’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employés de la fonction publique et parapublique québécoise vise toutes les religions et non une seule. La rencontre des principes d’égalité et de neutralité religieuse de l’État a cependant pour effet de concentrer les regards sur le voile musulman, qui se révèle, finalement, être la vraie cible. Ce voile accapare l’essentiel de l’attention et alimente les échanges les plus vifs.
Le voile est un symbole et comme l’écrit si bien Carole Beaulieu dans son dernier éditorial, les symboles ont un sens. Et le sens de celui-ci, pour moi, en est un de sujétion des femmes et de dévalorisation de leur corps. Le port du voile est l’envers de l’émancipation gagnée de haute lutte par les femmes d’ici.
Le voile musulman est revenu en force dans le monde musulman et ailleurs sous la pression des groupes intégristes et des tenants d’un Islam politique. On ne peut ignorer ce contexte.
Je n’arrive cependant pas à comprendre comment sa simple interdiction dans la fonction publique québécoise résoudra les problèmes plus profonds que le voile cache, le gouvernement n’ayant rien proposé pour s’y attaquer.
Prenons d’abord la situation personnelle des femmes qu’on dit vouloir aider.
Les pressions exercées sur les filles et les femmes pour qu’elles se conforment à certains codes de conduite et qu’elles se soumettent à la volonté de leur mari, père ou frère ne cesseront pas. Ce genre de pressions ne sont d’ailleurs pas le lot exclusif des musulmanes ou des femmes voilées.
Les trois filles Shafia et la première femme de leur père n’étaient pas voilées. Elles vivaient quand même un enfer. Elles ont cherché de l’aide qu’on n’a pas su leur offrir et sont mortes, en 2009, aux mains de leur père, de leur mère et de leur frère. Que propose-t-on pour éviter que pareil drame ne se reproduise? Avons-nous mis en place plus de ressources pour détecter ces situations problématiques et intervenir avant qu’elles ne dégénèrent? Qu’en partie.
Et avons-nous vraiment pensé à l’impact de cette interdiction sur les femmes qui portent le voile en réponse aux dictats de leur mari, père ou frère? Ces femmes ne pourront abandonner le voile sans courir de sérieux risques. A-t-on prévu leur offrir une aide véritable si elles choisissent de défier leurs proches pour conserver leur emploi?
Celles qui disent le porter par choix (?) feront à nouveau un choix, mais au bout du compte, ce sont celles qui jouissent le moins des promesses d’égalité du Québec et qui sont les plus vulnérables qui risquent d’écoper davantage. On leur offre quoi?
Il y a aussi le problème plus large de l’intégrisme. Ce dernier ne reculera pas parce qu’on fait disparaître le voile. Si on veut vraiment le freiner, il faut lui couper les vivres. Ce qui veut dire être prêt à s’attaquer à de plus gros poissons que les femmes voilées.
Car il faudrait une solide volonté politique pour mettre fin au statut fiscal privilégié accordé aux organisations religieuses. Pour interdire le financement étranger des institutions religieuses et ainsi en finir avec les mosquées soutenues par l’Arabie saoudite, les Frères musulmans et qui sais-je encore.
Le gouvernement pourrait aussi mettre fin au financement public des écoles privées confessionnelles et appliquer à la lettre la Loi sur l’instruction publique. Interdire ou restreindre le recrutement d’officiants formés à l’étranger, en excluant d’office ceux sortant d’écoles ou d’institutions réputées pour leur intégrisme, pourrait aussi être envisagé.
Je pourrais continuer. La liste serait encore plus longue si on parlait d’une véritable stratégie de promotion de l’égalité des femmes.
Réaffirmer la neutralité religieuse de l’État et l’égalité entre hommes et femmes dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, offrir des balises pour encadrer les accommodements raisonnables, interdire le port du voile intégral pour offrir ou recevoir des services publics, j’en suis. Même chose lorsqu’il est question d’interdire le port de signes religieux par les fonctionnaires en position d’autorité. Mon idée n’est pas faite sur le monde de l’enseignement, mais je suis ce débat avec attention.
Le voile me dérange, me met mal à l’aise, mais je ne comprends pas en quoi l’interdire à une technicienne de laboratoire, à une bibliothécaire, à une comptable fera reculer l’intégrisme et avancer l’égalité.
Il faut plus que cela. Beaucoup plus. Ne serait-ce que pour être plus cohérent.
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