Avant de vous parler de Pauline Marois et de la charte des valeurs, un petit détour.
Le 25 mai 2012, j’étais au théâtre Outremont, où le magazine L’actualité, le réseau CPAC et l’INM présentaient une conférence politique avec des députés et anciens députés pour analyser les résultats-surprises des élections fédérales au Québec en 2011, et tenter de dessiner les contours de la campagne provinciale qui approchait.
Le Québec était alors en plein conflit étudiant, qui chauffait les rues de la métropole chaque soir. Impossible de passer à côté du sujet.
Sur scène avec les panellistes, devant environ 300 personnes (plus ceux devant leur téléviseur), j’ai posé une question à l’ancien ministre libéral Benoît Pelletier, devenu professeur à l’Université d’Ottawa.
Je voulais savoir ce qu’il pense des possibles dérapages d’un parti ou d’un gouvernement lorsqu’un enjeu s’enflamme et polarise l’opinion publique.
De mémoire, la question allait comme suit:
«Avec ce type de débat très émotif, n’y a-t-il pas un danger de repli sur soi pour un gouvernement, pour un conseil des ministres? Le risque de développer une forme de mentalité de bunker, celle d’un parti assiégé, qui croit avoir raison et cesse d’écouter le débat en cours?»
Benoit Pelletier avait été candide. «Absolument!», a-t-il dit, ajoutant: «La politique est faite par des humains, pas par des robots».
C’est l’attitude très humaine, quand ça brasse, de chercher à se faire confirmer qu’on a raison. On parle de plus en plus souvent avec ceux qui pensent comme nous et de moins en moins avec ceux qui s’opposent à un projet. Dans les sondages, on ne voit plus qu’un chiffre, celui qui nous plaît. On passe rapidement sur les articles qui divergent d’opinion ou présentent des faits contraires à notre thèse. On dit qu’on écoute, mais en réalité, la seule idée qui compte, c’est la nôtre…
Au conseil des ministres, certains ont plus de verve que d’autres. Et plus d’influence, en raison de leur expérience ou de leur proximité avec le (ou la) premier ministre. Ils finissent par convaincre leurs collègues que l’opinion publique est de leur côté, que ce n’est qu’une question de temps et de choix des arguments avant que la tempête ne se calme. «Parfois, l’ordre de prise de parole change tout, si un ou des ministres forts parlent en premiers», a soutenu Benoit Pelletier.
Un gouvernement ou un parti se met alors à penser qu’il doit simplement mieux expliquer son projet. Que les opposants ont tort parce qu’ils n’ont pas compris ce que le gouvernement tente de faire. Que le gouvernement est «du bon bord» dans ce débat polarisant. Surtout quand les sondages sont plutôt bons.
Les médias sociaux et la partisanerie étant très présents, ça ajoute au cocktail.
La discussion avec Benoit Pelletier survenait dans le contexte du printemps étudiant. Mais ce réflexe de repli, il peut se manifester dans n’importe quelle situation où un gouvernement fait face à de l’opposition structurée et sérieuse. Où la bataille se joue autant sur le fond que sur la forme, pendant plusieurs semaines.
Le danger est évidemment de se braquer, de ne plus écouter les arguments d’un groupe important de la société, de s’enfoncer dans ses positions au risque de ne plus pouvoir en sortir avec un compromis. Marquer des points politiques avec cet enjeu devient plus important que résoudre le débat qui fait rage. On commence alors à entendre, en coulisses, des «On est allé trop loin pour reculer…». Classique.
En fin de semaine, j’ai détecté les premiers signes d’une mentalité de bunker au gouvernement Marois concernant la charte des valeurs québécoises.
(Je vous parle du conflit étudiant en guise d’exemple récent, pour amener le propos et la réflexion de Benoit Pelletier. Je ne compare pas le débat sur la charte et celui du printemps 2012. Chaque débat a ses caractéristiques. Ils ont surtout en commun ce côté polarisant et important pour la société.)
Pauline Marois a été très peu présente depuis le début de ce débat sur la charte. Elle a laissé ses ministres Drainville et Lisée aller au front. Ses rares commentaires sont donc à surveiller.
Samedi, La Presse a publié une entrevue avec Pauline Marois de la journaliste Nathalie Petrowski. La discussion portait sur la culture, mais la journaliste lui a quand même glissé quelques questions sur la charte des valeurs.
Voici l’extrait intéressant:
Est-ce que ça la trouble que des artistes comme Richard Desjardins, Dan Bigras et Michel Rivard dénoncent son projet de Charte sur la place publique?
«Non. D’abord, on n’a pas demandé aux artistes d’avoir un point de vue homogène. Et puis, ces artistes ne s’opposent pas aux valeurs que nous défendons. Ils s’opposent aux moyens que nous proposons et ça, ça m’atteint moins parce que c’est d’ordre politique. Alors, je les écoute, je respecte leurs opinions, mais je ne les partage pas.»
Je lui fais remarquer que les artistes qui s’opposent à la Charte la perçoivent comme un instrument de persécution.
«Ils se gourent. Nous allons prendre le temps d’expliquer les choses pour modifier cette perception. Quand les gens vont comprendre que nous ne voulons brimer personne, leur perception va changer et l’accalmie va revenir», dit-elle avec un optimisme saupoudré de pensée magique.
Or, le débat est vif et soutenu depuis maintenant près de six semaines. Les arguments pour et contre ont été étalés sur la place publique, et portés par des personnalités de tous les horizons.
Bernard Drainville vient de fermer les commentaires du public sur le site du gouvernement.
Il y a encore place à la discussion, mais on est clairement sur le versant descendant du débat.
Se peut-il que les opposants à la charte — ou à un volet de la charte, celui sur les signes ostentatoires, ce qui est plus courant — sachent très bien de quoi ils parlent? Que les artistes qui souhaitent des modifications à ce projet, comme d’autres citoyens, ne soient pas simplement ignorants, mais qu’ils utilisent des arguments tout à fait valables? Est-il possible qu’ils ne soient pas moins bien informés que les gens en faveur de la charte?
Penser que les Québécois qui s’opposent à certains morceaux de la charte ou à ses incohérences ne comprennent pas les arguments et qu’il suffira de leur expliquer, malgré l’intensité du débat depuis des semaines, me semble réducteur. Et le premier symptôme d’une mentalité de bunker.
Le gouvernement devrait prendre garde. Se protéger contre ses propres tentations de repli. C’est le genre d’attitude qui tend rarement vers le compromis et l’apaisement.
…
AJOUT: Mardi soir 1er octobre, sur les ondes de Radio-Canada, le ministre Bernard Drainville s’est dit ouvert à apporter des modifications à la charte. «Ce qu’on va essayer de faire, c’est d’améliorer le projet, d’arriver avec un projet de loi qui va être meilleur que les orientations qu’on a proposées», a déclaré M. Drainville.
Que faut-il en déduire? Pour l’instant, rien. Pas plus tard qu’en fin de semaine, la première ministre ne semblait pas très ouverte au compromis, comme on a pu le lire. Il suffisait de convaincre les récalcitrants. Et c’est Pauline Marois qui aura le dernier mot. Ensuite, la dernière fois qu’un ministre a parlé de «bonifier» la charte, c’était Jean-François Lisée, et il semblait vouloir la rendre encore plus contraignante, en réduisant la possibilité aux villes, hôpitaux et universités d’utiliser la clause de retrait de cinq ans. Il faudra donc attendre de voir les «modifications» que pourrait faire le gouvernement avant de penser qu’il se dirige vers un compromis.
…
AUTRE AJOUT (3 octobre): Ce texte ce matin, dans La Presse, qui montre que le gouvernement n’est pas en mode compromis. Le PQ souhaiterait durcir sa position sur le droit de retrait de cinq ans renouvelable. C’est pourtant la solution qui avait été imaginée pour contourner le problème créé par l’interdiction des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique et parapublique, difficilement applicable à Montréal sans causer des remous et des pertes d’emplois. Il semble donc que le gouvernement cherche à régler la solution, et non pas le problème.
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