Le système politique québécois et canadien, inspiré du parlementarisme britannique, repose pour une bonne part sur la ligne de parti. Ce système est souvent critiqué au nom de la démocratie, car il ferait des élus des moutons qui au lieu de voter selon leur opinion, ne ferait que suivre les directives données par la direction du parti.
C’est bien mal connaître le fonctionnement des caucus de députés, en tous cas de celui du PQ. Avant qu’une ligne de parti soit définie par le caucus sur une question difficile, les élus ont en effet des discussions très vives et qui peuvent s’étendre sur plusieurs semaines. Lors de ces débats parfois enflammés, on entend plus de rugissements que de bêlements, croyez-moi.
Et surtout, cette vision superficielle de la démocratie bien-pensante fait l’impasse sur un fait crucial: la ligne de parti protège nos élus de l’influence des groupes de pression et en particulier des plus radicaux d’entre eux.
Pour illustrer mon propos, rien de mieux que l’exemple américain, où le mécanisme de la ligne de parti n’est pas dans la culture politique de cette grande démocratie. Cela fait en sorte que chacun des 435 élus de la Chambre des représentants doit décider lui-même quelle sera sa ligne de conduite sur chaque vote. Les élus peuvent bien sûr suivre les mots d’ordre des leaders de chaque parti, mais il est acquis qu’ils peuvent en déroger, contrairement à Québec, où la discipline de parti est au centre du système parlementaire.
Cette liberté des élus américains est un marché de dupes, car elle les atomise en une multitudes d’individus laissés sans défense. Ces individus atomisés deviennent beaucoup plus vulnérables aux pressions et au chantage que ne le serait un groupe compact de centaines d’élus votant ensemble, selon une ligne de parti.
On se demande souvent, de ce côté-ci de la frontière, comment ça se fait que même après une fusillade meurtrière dans une école, les élus américains soient incapables de voter des lois pour contrôler la circulation et la possession des armes à feu. C’est pourtant très simple: les élus sont terrorisés par la National Rifle Association (NRA).
Je vous invite vraiment à lire cet article du Washington Post, dont le titre - NRA Tactics: take no prisoners - est en soi très révélateur. On y explique en long et en large les méthodes de ce puissant groupe de pression pour punir et défaire tout parlementaire qui s’opposerait, même de façon très modérée, au contrôle des armes à feu. Les élus américains sont terrorisés à l’idée que la NRA décide de s’en prendre à eux et on voit les résultats.
Face à un groupe compact d’élus solidaires qui suivent une ligne de parti, le lobby des armes ne représenterait pas une si grande menace. Mais face à un élu atomisé, laissé à lui-même, la puissance de feu politique de la NRA est effrayante.
Ces jours-ci, on regarde avec effroi le Congrès refuser à l’administration américaine les crédits permettant à l’État de fonctionner. Ça nous semble incroyable que la partisanerie politique puisse mener à pareille folie. Mais là encore, c’est la vulnérabilité des élus atomisés qui joue.
Le bras de fer entre les Républicains et les Démocrates tourne autour de la réforme du système de santé du président Obama, le Obamacare. La frange la plus radicale du Parti républicain veut stopper cette réforme à tout prix, y compris en mettant en péril l’économie américaine.
C’est de la folie, bien sûr, et la majorité des élus républicains ne sont pas prêts à aller jusque là. Cependant, ils sont terrorisés à l’idée que des mouvements comme le Tea Party ou encore plus sérieux, un puissant groupe comme le Heritage Foundation, leur fassent payer très chèrement un accord avec les démocrates. Une majorité d’élus républicains se retrouve donc tenue en otage par une minorité qui les terrorise.
Autre folie à nos yeux (du moins à mes yeux): l’obstination des élus américains à ne pas taxer les plus riches, ce fameux 1% qui détient une part toujours plus importante de la richesse de la plus grande économie du monde.
Pour réduire le déficit budgétaire, des réductions de dépenses très importantes ont été effectuées dans les déjà maigres programmes sociaux. Le simple bon sens voudrait que les ultra-riches américains participent à l’effort budgétaires en payant plus d’impôts. Au lieu de ça, les Républicains exigent au contraire des baisses d’impôt pour ce 1%. C’est que, bien sûr, ils ont peur de subir une campagne politique organisée par les ploutocrates milliardaires.
L’exemple américain, avec ses élus atomisés et terrorisés, illustre parfaitement les effets pervers de la vertu démocratique bien-pensante, déconnectée qu’elle est de la dure réalité politique.
À tout prendre, vous aurez compris que je préfère le système de la ligne de parti qui, si désagréable puisse-t-elle paraître, n’en protège pas moins nos élus de ces groupes de pression si délétères pour la démocratie.
Pour paraphraser Churchill, notre système politique est bien imparfait, mais c’est le moins mauvais qu’on ait trouvé.
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