Comme stratège politique, la question du déclenchement ou non d’élections générales est une des plus difficiles qui soit.
Dans un contexte de gouvernement majoritaire, la partie est plus simple, aussi bien pour l’opposition que pour le gouvernement. Ce sera encore plus simple quand les élections québécoises se feront à date fixe, ce qui empêchera un gouvernement majoritaire de manipuler le calendrier électoral à son avantage.
Dans un contexte minoritaire, le concept d’élections à date fixe ne tient plus, car aussi bien le gouvernement que l’opposition peuvent nous précipiter aux urnes. Chaque semaine, le gouvernement peut en effet être renversé par une motion de non-confiance, ce qui provoque automatiquement des élections.
Pour les partis politiques, cette situation est pénible, car il faut demeurer sur le qui-vive en permanence. Et quand l’odeur d’élections se fait plus insistante, il faut décider si on appuie sur l’accélérateur, un peu, beaucoup ou à fond. D’un côté, on ne veut pas se faire surprendre en état d’impréparation et de l’autre, on ne veut pas dépenser des milliers de dollars en pure perte, en cas de faux-départ.
Cette situation de pré-campagne permanente joue sur les nerfs de tous, car en plus d’accomplir le travail politique quotidien au Parlement et sur le terrain, il faut constamment mettre à jour le plan de campagne, la plateforme et l’organisation.
Le recrutement de candidats représente une tâche bien plus ardue, à cause de l’incertitude temporelle. Ce n’est pas une petite affaire pour une personne que de décider d’être candidat pour un parti politique. D’abord, il faut souvent renoncer à une bonne situation professionnelle. Il faut avoir l’appui de ses proches. Il faut être prêt à subir l’inquisition des médias et les critiques des adversaires politiques. Tout ça sans aucune certitude, ni d’être élu, ni de faire partie d’un éventuel gouvernement. Quand en plus on ne sait même pas quand les élections auront lieu…
Le personnel politique (le staff) est également sur les nerfs. Moi, par exemple, j’ai trois enfants et ma femme a une carrière professionnelle exigeante. Or, une campagne électorale, y compris sa préparation, ça implique des journées de travail de 12 à 16 heures pendant plusieurs semaines. Ça signifie une absence prolongée de la maison, parfois pour une durée de deux mois. Vous imaginez bien ce que ça représente pour la famille. Or, de 2000 à 2012, j’ai participé à pas moins de sept campagnes électorales! Disons qu’après chaque campagne, j’ai eu beaucoup à faire pour engranger des points famille…
Cette fois-ci, je suis assis chez moi, en observateur, mais j’imagine que les employés de tous les partis travaillent de longues heures en ce moment pour se préparer. Il n’y a en effet aucune illusion à y avoir. Passé la première année d’un gouvernement minoritaire, chacun souhaite être en position de choisir lui-même le moment des prochaines élections.
Avec les sondages favorables du printemps, les libéraux de Philippe Couillard ont sans doute planifié un possible renversement du gouvernement pour l’automne. Depuis, le leadership vacillant de Philippe Couillard et les descentes de l’UPAC au Parti libéral ont fortement ralenti leurs ardeurs. Les libéraux redoutent maintenant que le gouvernement déclenche lui-même des élections automnales. Ils sont de leur propre aveu en mode préélectoral, juste au cas.
Les caquistes, de leur côté, doivent redouter encore plus un tel scénario. Les sondages sont mauvais et la sortie intempestive de Jacques Duchesneau en loose canon a affecté encore un peu plus la crédibilité d’un parti qui n’en n’avait pas de trop. Dominique Anglade, l’étoile intellectuelle de la CAQ, a quitté le navire il y a quelques semaines. Jacques Duchesneau refuse de confirmer qu’il sera candidat. Couplés avec les mauvais sondages, ce départ et cette hésitation envoient un très mauvais signal aux éventuels candidats, qui seront pour le moins hésitants.
Pour ce qui est du gouvernement Marois, si j’étais encore un de ses stratèges, j’aurais déjà commencé à ouvrir une fenêtre électorale, de sorte que la première ministre puisse décider ou non de déclencher des élections en novembre (après les élections municipales).
Ensuite, j’insisterais pour que la décision d’y aller ou non soit prise le plus tard possible. Décider maintenant, ce serait de l’aventurisme.
Et puis à la fin octobre, il faudrait prendre la décision d’y aller ou non. Ce sera la décision du gouvernement et en dernier ressort, de la première ministre elle-même.
Rendu à ce moment-là, si le contexte était le même qu’aujourd’hui, est-ce que je lui conseillerais d’y aller?
Avec les adversaires dans les câbles, un programme économique solide, le projet de charte qui demeure très populaire, une équipe ministérielle aguerrie et une première ministre qui a trouvé ses marques, oui, je lui conseillerais d’y aller.
Mais ne vous y fiez pas. Même quand j’étais conseiller, on ne m’écoutait pas toujours…
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