Un mois après sa fuite orchestrée au Journal de Montréal, le Parti québécois est toujours incapable de justifier et défendre sa «Charte des valeurs» de manière crédible.
Aucune étude d’impact. Des incohérences flagrantes. Des comparaisons boiteuses. De graves failles philosophiques et politiques. La Ville de Montréal et ses villes défusionnées unanimement contre. Le Conseil du statut de la femme muselé. La dénonciation unanime de tous les autres partis politiques provinciaux ou fédéraux (sauf le Bloc québécois, après l’expulsion de Maria Mourani). Une accumulation de dissidences majeures au sein même de la famille politique du Parti québécois: Jean Dorion, Louise Harel, Jean-Pierre Proulx, Michel Seymour et Yves Beauchemin, sans parler de Gérard Bouchard. Et à peu près aucune chance que le projet ne survive à l’examen des tribunaux.
Les justifications fondées sur la laïcité et la neutralité de l’État ne sont pas davantage crédibles. La laïcité et la neutralité de l’État québécois ne sont aucunement menacées, pas plus que dans le reste du Canada ou de l’Amérique du Nord. De toute façon, le simple changement de nom de la «Charte de la laïcité» pour la «Charte des valeurs québécoises» démontre bien que la Charte ne vise pas réellement la séparation de l’Église et de l’État (un objectif atteint depuis longtemps) mais bien la marginalisation institutionnelle des cultures minoritaires au profit d’une «identité nationale» homogène et traditionnelle. À lui seul, le maintien symbolique du crucifix à l’Assemblée nationale expose cette hypocrisie de manière spectaculaire.
Par ailleurs, la conception de neutralité et de laïcité défendue par le PQ — celle d’un État où tous les employés devraient abandonner leurs signes religieux et adopter un «uniforme laïque» — constitue une déformation grossière du principe de séparation de l’Église et de l’État. La neutralité et la laïcité n’exigent qu’une chose: que les actions et décisions du gouvernement soient neutres et ne favorisent ou ne défavorisent aucune religion. Cet objectif est atteint et renforcé, notamment, par la promotion de la diversité au sein de la fonction publique, qui démontre ainsi l’ouverture de l’État à tous et sa neutralité résultante.
Or, loin de promouvoir la neutralité de l’État, le fantasme péquiste d’une fonction publique obligatoirement aseptisée et monoculturelle témoigne au contraire d’un parti-pris contre l’expression religieuse minoritaire. Autrement dit, la volonté d’éliminer la diversité culturelle et religieuse de la fonction publique ne fait pas avancer la neutralité de l’État — elle la fait reculer.
Et pourtant le gouvernement s’accroche — certains diraient s’enfonce — fort de sondages qui démontrent encore un appui populaire à son projet de Charte.
Le seul argument qui reste, pour ceux qui n’osent pas dire carrément que les étrangers devraient rentrer chez eux, c’est de soutenir que le voile musulman (parce que c’est évidemment ce dont il s’agit), suscite un «malaise».
Un malaise, donc. Face à des gens dont les choix, les comportements ou l’identité ne sont pas ceux de la majorité.
Ce malaise, c’est le même que deux tiers des Américains avaient encore en 1986 face au mariage interracial — qui ne viole les droits de personne, mais qui suscitait quand même le malaise d’une majorité.
Ce même malaise alimentait certainement l’opposition historique à l’émancipation des femmes — qui n’enlevait de droits à personne mais qui dérangeait une majorité probablement convaincue que les «valeurs québécoises» excluaient de facto la participation des femmes à la vie publique. (En 1834, le très patriote Louis-Joseph Papineau déclarait qu’il était «odieux de voir traîner aux hustings des femmes par leurs maris, des filles par leurs pères souvent contre leur volonté. L’intérêt public, la décence, la modestie du sexe exigent que ces scandales ne se répètent plus.»)
Et ce malaise est celui que certains ressentent encore aujourd’hui, au Québec ou ailleurs, quand ils voient deux hommes ou deux femmes se tenir par la main, s’embrasser ou se marier — des amours minoritaires qui n’enlèvent de droits à personne, mais qui suscitent encore un certain malaise chez ceux qui préféreraient ne pas les voir.
Heureusement pour les couples interraciaux, les femmes qui votent et les homosexuels, nous vivons (jusqu’à preuve du contraire) dans une société où le malaise des uns ne l’emporte pas sur la liberté des autres. La modernité avance, les droits progressent, le malaise régresse.
Malheureusement, le gouvernement du Parti québécois propose aujourd’hui d’inverser ce principe et de s’appuyer sur le malaise indéfini d’une majorité pour limiter les droits de la minorité. Ce changement de paradigme suscite des oppositions viscérales, avec raison.
Comme d’autres avant lui, le gouvernement péquiste avait le choix: défendre la justice et s’employer à combattre le malaise, ou abandonner ses principes et embrasser la tyrannie de la majorité. Sa décision opportuniste de se vautrer dans le malaise marque un triste épisode de l’histoire du Québec.
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