Raconte-moi un auteur Stéphanie Pelletier

Mardi, 14 Octobre 2014 22:24 Pierre Duchesneau
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Stéphanie Pelletier (photo : Jacqueline Chénard)

Stéphanie Pelletier a remporté le Prix littéraire du Gouverneur général 2013 dans la catégorie «Romans et nouvelles» pour Quand les guêpes se taisent (Leméac).

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Comment est né le désir d’écrire chez vous ?

J’étais en secondaire 4 et j’écrivais déjà depuis longtemps. Des poèmes inspirés par les textes de Jim Morrison, des histoires de spectres, de coureurs des bois, d’amours tragiques.

Puis vint le jour de l’illumination. J’étais dans l’autobus scolaire qui me ramenait à la maison, j’hésitais à faire un choix de carrière et soudain, je me suis vue, assise à une table de travail dans ma maison de campagne, écrivant pendant des journées entières, buvant des ballons de vin rouge et fumant des Marlboro.

Finalement, je me suis inscrite en arts plastiques, puis en théâtre ; j’ai arrêté de fumer et je suis devenue aubergiste. J’ai continué à prendre des notes, mais le désir d’écrire est revenu à l’aube de la trentaine, encore plus fort. J’ai abandonné le métier d’aubergiste, suis retournée sur les bancs d’école et me suis replongée dans le domaine culturel.

Je ne sais pas si j’ai vraiment le choix, il me semble que je vis pour témoigner du monde.

Quel est votre rituel d’écriture ?

Je m’isole pour écrire. Si je ne suis pas dérangée, je peux passer une dizaine d’heures à travailler sans voir le temps passer.

Je n’ai aucune constance, aucune discipline. Je peux rester plusieurs semaines sans toucher au texte, puis écrire trois chapitres en trois jours. Je laisse l’histoire se construire en moi, reposer un peu, puis reprendre. Parfois, l’événement qui va inspirer la suite de l’histoire ou la fin ne s’est pas encore produit, alors je dois l’attendre.

J’aime beaucoup lire des extraits de l’œuvre en construction à mes proches : ça me permet de m’assurer de la bonne compréhension du récit, d’entendre son rythme, de laisser une impression juste.

J’ai pratiquement lu tout le roman Dagaz à voix haute à mon amoureux au fur et à mesure que je l’écrivais. J’adore ces précieux moments de complicité avec lui et je sais qu’il va prendre soin de ce geste d’abandon, que ses questionnements seront justes et m’aideront à avancer.

Un ouvrage particulièrement marquant pour vous ?

Récemment, j’ai découvert l’écrivaine Annie Dillard grâce à un livre de Robert Lalonde qui la citait. Son chef-d’œuvre Pèlerinage à Tinker Creek m’a accompagnée pendant l’été et l’automne 2013, alors que j’étais en plein processus de création de Dagaz. Ses livres sont foisonnants, grouillants de vie. Son rapport à la naissance, à la mort, à la nature, aux croyances m’inspire et me fait écrire. Je sais que son œuvre influencera la mienne longtemps. J’ai déjà mon prochain livre en tête et je sais que la relecture de Pèlerinage à Tinker Creek sera une des premières étapes de sa création.

Qu’est-ce qui vous inspire ?

Tout ce qui est encore sauvage. Les liens affectifs qui unissent ou emprisonnent. Les mythes. Le doute.

Deux auteurs (québécois et étranger) avec qui vous prendriez le thé ?

Robert Lalonde et Virginia Woolf, pour leurs univers à la fois sombres et lumineux, parce que leurs œuvres m’inspirent, pour leur délicieux sens de l’humour et parce que la première chose à laquelle je pense quand j’invite quelqu’un à prendre le thé, le café ou un verre, c’est de vivre un moment de qualité avec un autre être humain. Je sens que j’aurais un plaisir fou à passer un après-midi d’été à pique-niquer sous les arbres en leur compagnie.

D’après vous, quelle est l’idée la plus fausse qu’on puisse se faire au sujet d’un écrivain ?

J’ai une dent contre l’idée de l’écrivain souffrant, sombre, torturé et inaccessible. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une idée complètement fausse, mais je pense qu’il y a un danger à la cultiver. Je sais qu’une trop grande lucidité peut mener à la détresse, mais la lucidité et l’intelligence peuvent et devraient surtout servir à faire croître l’amour et le bonheur. Il me semble qu’une des raisons d’être de la littérature est aussi (surtout en ce qui me concerne) de partager la lumière !

Comment avez-vous réagi en recevant le Prix littéraire du Gouverneur général ?

Ça rassure. Ça donne une bonne tape dans le dos pour continuer. J’imagine que je ne suis pas la seule auteure tourmentée qui se demande sans cesse si ce qu’elle fait a du sens et, si oui, quel est ce sens.

Le GG est une merveilleuse reconnaissance. Il offre une belle visibilité. Et comme nous écrivons pour être lus, la visibilité est au centre de nos préoccupations.

Je trouve aussi qu’on assiste malheureusement à une montée dans les médias de l’auteur vedette au détriment de son œuvre. Il me semble que le GG, bien qu’il récompense l’auteur, a pour principale préoccupation de mettre l’œuvre récompensée en valeur, et pour moi, c’est ce qui compte. Je veux qu’on se souvienne de la page couverture et du titre de mon livre, pas de mon visage !

Un thème à aborder dans une prochaine œuvre ?

Bien que mon coin de pays soit un sujet d’inspiration sans cesse renouvelé, j’ai bien envie de situer l’action de mon prochain livre ailleurs. Dans un endroit où la sauvagerie recèle un brin d’étrangeté pour moi, afin de découvrir ce que cela provoquera dans la fiction. J’ai envie de secouer un peu ma zone de confort.

Quel est l’avenir du livre, selon vous ? 

L’avenir du livre sera à la hauteur de l’acharnement, de la lumière, de l’intelligence, de la liberté, de l’amour dont nous avons le devoir d’investir notre littérature. Reste à voir si nous le ferons.

Comment est votre relation avec vos lecteurs ?

J’adore parler avec les lecteurs. J’aime savoir comment ils ont reçu le livre, quel est leur nouvelle ou chapitre préféré, le personnage qu’ils ont le plus aimé. J’aime entendre leurs questions et tenter d’y répondre. Je redécouvre mon propre travail à travers leurs interprétations et c’est fascinant.

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